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Utopiales Nantes, Jour 3

Utopiales Nantes, Jour 33ème session de courts-métrages

Composée de 7 courts-métrages – est-ce à force de voir des courts de manière si rapprochée ?– cette sélection est moins réussie. La barre est cependant placée très haut avec The Last Schnitzel d’Ismet Kurtulus (Danemark) un court-métrage à la fois politique et comique qui présente la fin de la terre (par épuisement des ressources alimentaires qui obligent à un départ vers mars). Cette situation permet de faire un rapide tour de la situation géopolitique mondiale depuis la Turquie. Chacune des sélections contient un court de genre de genre fantastique, Nimmer (Belgique) de Lieven Vanhove se déroule dans un beau décor en noir et blanc comme pour Lacrimosa (Session 2) il s’agit d’une belle histoire d’amour et de perte. On notera au passage que quelques courts proposent des fins bien tristes. Orbital Inn (France) de Pierre Alain M’barga tourne autour d’un classique de l’anticipation : la surpopulation (au moins un court-métrage par session lorgne du côté du mathulsianisme) et aborde les thèmes de l’apprentissage, du manque et de la famille. E is For Evolution (Paul Kusmaul, Allemagne) est le premier court-métrage non narratif (sous forme d’abécédaire) ou tout au moins pas évident à suivre dans sa narration, beau visuellement et nostalgique musicalement (vous y entendrez notamment du Nirvana…). Il laisse un peu sur sa faim en ce qui concerne l’écriture du scénario. The Swelling (Allemagne, Tom Bewilagua) est poisseux et rugueux, du noir et blanc pour un futur sinistre avec le thème de la sécurité et de la surveillance. Metube 2 : August sings Carmina Burana (Daniel Moshel, Autriche) tient plus du clip musical, si la réalisation est bonne et que la musique est intéressante (Carl Orf déjanté) on reste là encore un peu sur sa faim ; comme pour E is for Evolution ces deux styles de production diffèrent peut-être un peu trop des autres de par leurs choix narratifs. Real Artists (Cameo Wood, USA) tiré d’une nouvelle de l’écrivain chinois Ken Liu s’intéresse à la création artistique et à l’intelligence artificielle, bien fait, mais sans aucune surprise et un peu trop lisse, un peu comme ce que le court-métrage entend dénoncer en quelques sorte.

Cette troisième session continue de mettre en avant la diversité géographique des productions. Si tous les autres courts-métrages étaient exempts d’un des défauts récurrents du genre : la longueur, elle pointe ici de temps en temps le bout de son nez (notamment sur Orbital Inn et The Swelling). Rien de grave, quelques dizaines de secondes par-ci par-là. Et rappelons-le, la barre est placée très très haut.

Someone is wrong on the Internet

Les conférences attirent toujours un large auditoire et celle-ci n’y déroge pas. Audrey Alwett, Jeanne A-Debats, Florence Porcel (qui a créé une chaîne YouTube) et David Calvo parlent d’Internet et d’une de ses dérives : les fausses informations qui y circulent. Alors que l’arrivée d’Internet posait un idéal, la circulation de l’information et la facilité de se renseigner, l’humain s’égare en guerre de clochers : la démocratie c’est beaucoup de gens qui n’arrivent pas à se mettre d’accord. Le haut débit n’a pas accéléré que la vitesse de connexion : une grande partie de notre temps virtuel est perdu à convaincre une partie de l’humanité que nous avons raison face à elle.

Le mot croyance revient très souvent au cours de la discussion pour qualifier ces personnes qui diffusent et assènent à tout va des propos et des messages erronés par bêtise ou mensonge. Internet est plein de ces gens, toujours plus actifs que ceux qui veulent simplement partager des connaissances (nous connaissons souvent bien moins de choses que nous n’en croyons, et il est plus facile de se répandre sur ce qu’on croit que sur ce qu’on connaît). C’est avec les indécis, ceux qui doutent et restent curieux et ouverts, que la discussion doit et peut être privilégiée.

Le cas de Wikipédia est abordé par Jeanne A-Debats, qui contribue à cette encyclopédie très décriée, pointée du doigt comme source de mauvaises informations. Elle souffre simplement des défauts de la démocratie : des comités qui prennent du temps, et des petits chefs.

Arrive le sujet des commentaires que l’on trouve sous les blogs, sous les articles de journaux ou les vidéos. Pour Audrey Alwett on gagne un temps fou à les désactiver et ne pas débattre en vain. Jeanne A-Debats n’a pas fermé les commentaires sur son mur facebook : « Mon idée n’est pas de convaincre mais d’avoir un discours construit et argumentatif. Créer des endroits où les commentaires les plus abominables peuvent se confronter à une tentative d’argumentation raisonnée. Je fais ça sur le temps où je ne suis pas en train d’écrire, je souffle à ce moment-là en jouant à la discussion fondamentale. Je n’arrive pas à le penser comme une perte de temps. » David Calvo avoue : « Je suis un scrolleur des commentaires du Figaro. Je veux comprendre la langue de l’ennemi. Mais les bras m’en tombent. »

Tous s’entendent pour constater que la discussion sur Internet c’est le combat de la croyance contre la raison. La rhétorique des croyants se révèle bi-argumentative, ils pratiquent le sophisme, ils ont une croyance qu’ils justifient à partir d’une autre, avec une pensée qui n’a pas de sens. Audrey Alwett constate avec les réflexions féministes postées sur son blog l’arrivée d’une nouvelle rhétorique « je suis féministe mais… » comme il y a le « je ne suis pas raciste mais… ». Un vocabulaire immédiatement douteux, comme l’expression « pensée unique ». Des femmes réagissent à ces questions, se positionnent dans le rôle de David qui combattraient Goliath – qui serait donc les féministes. Ces femmes disent « je sais qu’en prenant la parole je prends un risque », alors que non, c’est l’inverse, ce sont les féministes qui se prennent des menaces de viol.

David Calvo remarque que ce phénomène de croyance contre la raison vient d’une américanisation des médias. En Europe, la tendance est plutôt à enfermer l’information pour la tenir secrète. Aux États-Unis pour cacher des faits on laisse sortir des contre-infos, on encourage le bruit de fond. Ce genre de croyance a plus d’impact et de pérennité. Une réalité scientifique est longue à argumenter.

En réponse à une question du public, Jeanne A-Debats explique que pour elle il ne faut pour autant jamais restreindre la parole (car qui en serait chargé ? Selon quels critères ?). C’est la responsabilité de chacun de répondre face à des propos mensongers ou manipulateurs. On ne peut pas dire « seule ma parole est valide », elle préfère des garde fous individuels que gouvernementaux. Pour Florence il faut éduquer alors que selon Audrey, tout dépend ce qu’on entend par restreindre : s’exprimer bien sûr, mais la menace et l’incitation à la haine c’est autre chose, il faut rappeler la loi. Malheureusement la loi n’est pas appliquée dans ces situations-là. Finissons par une incontestable touche d’humour : la preuve que la terre n’est pas plate, c’est que sinon les chats auraient déjà tout foutu par terre.

Joute de traducteurs

Utopiales Nantes, Jour 3Sara Doke et Mikael Cabon s’affrontaient autour de la traduction d’une nouvelle de Frank Herbert, sous l’oeil attentif de Paola Appelius. Une foule impressionnante est venue les écouter et les lire pour constater de façon très concrète cette évidence : le traducteur fait des choix, ses choix donnent une musique toute particulière au texte. Les néophytes peuvent découvrir deux termes qui qualifient la démarche propre à l’auteur : sourcier – celui reste proche du texte original, ou cibliste, celui se préoccupe plus de la langue de destination. Ainsi, les choix de Sara Doke paraîtront plus secs, mais concis et proches du texte d’origine, quand ceux de Mikael Cabon sonnent plus littéraires mais avec plus de liberté par rapport au texte d’origine. Un exercice passionnant ! À la sortie de l’Agora se presse une foule incroyable pour participer à l’interro qui va suivre, sur les répliques cultes de Star Wars. Décidément, les Utopiales n’ont pas fini de nous emballer.

Caroline de Benedetti et Emeric Cloche