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Dernière sommation de David Dufresne

Dernière sommation de David Dufresne

Faire de la fiction avec une actualité qui a pimenté de nombreux repas familiaux. Dernière sommation de David Dufresne relève le défi. Mais plus qu’un défi, ce roman exsude le besoin de dire. Difficile de comprendre, pour certains, peut-être, le poids émotionnel et psychologique consécutif à l’immersion dans des manifestations. Des semaines au milieu des gaz et des blessures, la prise de conscience de l’injustice, ça vous bouffe le temps et l’esprit.

Dernière sommation agit comme un constat, par la mise en fiction frontale de faits largement reconnaissables. Une fiction aussi liée au réel nous y renvoie en permanence, peut-être trop. D’autres ont abordé le même sujet, je ne les ai pas lus et ne pourrai donc pas comparer. Le roman n’échappe pas au risque de l’écriture à chaud, dans la force et les rêves du moment. Ils sont parfois en décalage, comme lorsque Dardel/Dufresne fait face au sarcophage du Fouquets et y voit les « funérailles d’un monde en perdition ». Quelques mois, un virus et un remaniement ministériel plus tard, ce monde tient bon, très bon.

Violence gratuite contre monde payant

Côté narratif, l’auteur adopte trois voix : celle du journaliste Etienne Dardel, celle d’une graffeuse black block, et enfin celle la Préfecture de Police. Ces points de vue lui permettent de tenter une vision globale du mouvement des Gilets Jaunes et de ses effets. Le discours de la police, tendance « on est à bout, on souffre », est ainsi représenté et relié aux pressions politiques. Le journaliste agit comme un révélateur des troubles de la société, dans la lignée des personnages de roman noir. Sous pression, surveillé, il se rapproche parfois même du héros de roman d’espionnage. Vicky la graffeuse incarne la victime d’un crime largement documenté : les violences policières. La scène finale connecte tous les éléments et ouvre sur notre avenir : d’où vient le danger ?

Le lanceur d’alerte, portrait en creux et auto-fiction de l’auteur, est un des atouts de Dernière sommation. La sincérité émane de « l’outsider (…) narrateur rock’n’roller (…) autodidacte ». Dardel reste lucide même (surtout) face à l’opportunité d’un plateau BFM. Il sait la mort d’un journalisme qu’il a affectionné et ne montre pas plus de sympathie pour la presse au discours pré-mâché que pour les intellectuels qui « finiront sénateurs ». Il agit avec recul, et ses armes, « la revanche des médias faibles sur les forts (…) la victoire du do it yourself« . En se montrant accro au portable, immergé dans la lutte plus que dans sa vie de famille, Dardel dit aussi un mouvement retransmis live, dopé à l’adrénaline et reflet de l’addiction aux images. Un cercle vicieux entre ceux dans la rue, et les autres devant leur écran.

De la mort de Malik Oussekine à celle de Rémi Fraisse en passant par la doctrine Sarkozy, il y a l’expérience intime faite par celles et ceux qui sont confrontés à la police. C’est sans doute une affaire inimaginable pour les autres. Qu’il soit possible d’espérer qu’à la lecture de Dernière sommation, leur perception s’élargisse. Le roman fait preuve d’une empathie perdue par beaucoup, surtout par ceux qui dénoncent à grands cris les positions idéologiques. En cela, ils ne sont que les porte-voix du discours dominant, fort utilement rappelé par un extrait des voeux de Macron en 2018, lui qui pointe une « foule haineuse (…) négation de la France ».

Ceux que la fiction rebutent pourront lire Sans la liberté de François Sureau, et pour les réfractaires à la littérature le film de David Dufresne Un pays qui se tient sage sort le 30 septembre au cinéma. Des oeuvres pour provoquer la réflexion. Puissent-elles fonctionner comme une sommation d’agir.

Caroline de Benedetti

David Dufresne, Dernière sommation, Grasset, 2019, 18 euros

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