Krimi, le polar allemand

Krimi inédit #1 – Fronten de Leonhard F. Seidl

Pendant un mois, Fondu Au Noir vous propose de découvrir chaque semaine un Krimi, un polar allemand non traduit en France. Nous remercions les éditeurs et les auteurs en Allemagne, ainsi que Claudine Layre, traductrice, de nous accompagner dans cette mise en lumière. En espérant que ces extraits rencontreront des lecteurs et qui sait, des éditeurs français…

Krimi inédit #1 - Fronten de Leonhard F. Seidl

« Insensé comme la vraie vie » (Süddeutsche Zeitung)

« Fronten » est LE roman sur la situation politique actuelle » (Thomas Wörtche, éditeur)

« Fronten, le roman de Leonhard Seidl, n’absout et ne condamne personne » (Elmar Krekeler Die Welt)

Inspiré par des faits réels s’étant déroulés à Dorfen en Haute-Bavière. 

« L’histoire ne se répète pas mais elle rime. » Mark Twain

Vendredi 4 mars 2016 à Auffing (Haute-Bavière)

Ayyub Zlatar

Parce que la neige est trop aveuglante, les stores sont encore baissés. Il cligne quand même des yeux.

Il entend la voiture accélérer, comme toujours à cet endroit-là, pour ensuite freiner, au cas où, ou parce qu’un véhicule arrive en sens inverse sous la porte de ville. Schlack schlack schlack, les roues roulent sur les pavés et sur le sel qui s’y est enfoncé après le passage du chasse-neige.

Il faut absolument respecter la flèche rouge, non au cas où ou parce que, mais à chaque fois. Cela vaut aussi pour l’agent des services secrets, s’il ne veut pas se faire remarquer. Et c’est le cas, même si Ayyub le reconnaît.

Contrairement à la flèche noire, la flèche rouge signifie qu’on est sur la défensive. Comme lui depuis des mois, depuis qu’ils sont à ses trousses. Quand on a la flèche noire au centre du cercle rouge de son côté, on est l’attaquant, on avance, sans se soucier des pertes. On enregistre des pertes quand on est inattentif ne serait-ce qu’une seconde, quand on regarde en arrière. Quand on les perd de vue ou qu’on n’est pas suffisamment armé. Depuis qu’il les sait à ses trousses, il s’est procuré une arme puis encore une autre, une cartouche puis encore une autre. Il a suivi une formation. Il s’est entraîné à tirer, tous les dimanches. Sa contribution à la guerre. À l’époque, les puissances obscures ne s’étaient pas encore rendu compte qu’il pouvait aussi s’avérer dangereux pour elles. Maintenant, c’est trop tard. Également pour les agents du Landratsamt1, qui coopèrent avec les services secrets et le jugulent depuis des semaines. Il leur a expliqué dans une lettre de onze pages pourquoi il a besoin de ces armes. Urgemment besoin. Il pensait que les autorités allemandes n’étaient pas encore infiltrées par des agents ennemis. Elles veulent l’empêcher de se défendre, elles auraient mieux fait de désarmer les attaquants, il n’aurait pas eu besoin de s’armer. Ici aussi, la guerre a éclaté.

La voiture dans la rue, ni des défenseurs ni des attaquants. Et si, des attaquants. Elle freine trop tôt, mais n’accélère pas par la suite. Se gare. Des portières claquent.

Il résiste à l’impulsion de relever un peu le store pour jeter un œil à travers les petites lamelles blanches.

Il se contente de compter en murmurant : « 21, 22, 23. » Un autre véhicule qui freine trop tôt. « 21, 22, 23. » Qui s’arrête. L’hélicoptère aussi est de nouveau là. Comme la veille.

Ne pas penser à Maria maintenant. Ce serait se livrer à eux, devenir un défenseur attaquable. Pieds et poings liés.

Il a très chaud, bien que toutes ses armes soient chargées. Il serre la cartouche dans ses doigts, s’imprègne de sa froideur. Il enserre le pendentif de son père en forme de poignard.

On sonne. Driiing ! Ils arrivent. Ils viennent le chercher. Il n’a aucun ordre clair, aucune flèche.  Nom d’un chien. Il se trouve à l’intérieur du cercle rouge. Zone de danger. Dead or alive. Flèche noire ou rouge ? Attaque ou défense ? « La meilleure défense, c’est l’attaque », disent les collègues du club de tir de Ludwigshafen. Il s’empare de son colt, prend son magnum dans l’autre main, enserre les deux armes, sent boum… boum… boum… boum… les battements de son cœur ralentir. Driiing ! Puis de nouveau accélérer suite au coup de sonnette. On dirait qu’on veut négocier. Plus de bruit. De nouveau une voiture. Schlack schlack schlack. « 21, 22, 23. » Attaque, « 21 », défense, « 22 », attaque, « 23 ». Au troisième coup de sonnette, driiing !, il lâche les crosses, pose les armes sur la table en bois abîmée. Sans faire de bruit, comme en se dirigeant vers la porte, avec lassitude. Dehors, ils l’attendent. Attaque, « 21 », ou défense, « 22 » ? Il tourne la clé et ouvre. Le clocher sonne neuf coups.

« Grüss Gott2. Ayyub Zlatar ? »

La lumière du couloir l’aveugle. Il perçoit seulement les silhouettes de deux hommes. Il acquiesce d’un signe de tête.

« Agent de police Fend. Voici mon collègue Stadlmaier. »

(1) Landramtsamt : administration cantonale. Toutes les notes sont de la traductrice.
(2) Grüss Gott : salutation bavaroise traditionnelle. Signifie « Dieu te bénisse. »

Leonhard F. Seidl est né à Munich en 1976.

En 2011, paraît son premier roman Mutterkorn chez Kulturmaschinen, suivi de Genagelt en 2014 et de Viecher en 2015, tous les deux publiés chez Emons.

Fronten est son dernier kriminalroman, publié en 2017 aux éditions Nautilus.

Site de l’éditeur : http://www.edition-nautilus.de