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Un monde trop petit de Jean-Christophe Perriau

Un monde trop petit de Jean-Christophe PerriauToute nouvelle maison d’édition, INÉDITS, qui a démarré avec la publication de nouvelles, vient d’inaugurer une collection prometteuse avec le premier roman de Jean-Christophe Perriau, déjà lauréat de nombreux concours de nouvelles.

Un monde trop petit met en scène 3 personnages aux vies fracassées : Franck, un clodo crasseux (ex journaliste) Bouba, un jeune africain malchanceux (ex-taulard) en cours de réinsertion, Matilda, infirmière en maraude, seule survivante d’une famille éclatée. Leurs chemins se croisent au Samu Social de Paris, des liens se nouent – pas nécessairement ceux que l’on attend. On est en 2013, pendant les émeutes de Trappes, qui évoquent irrésistiblement celles d’octobre 2005, commencées à Clichy-sous-Bois suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, ces deux adolescents électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police.

Les relations avec la police ont une grande importance dans la vie des trois personnages : délit de faciès (5 fois par jour) pour Bouba, contrôles répétés pour Franck « depuis qu’il n’est plus un citoyen comme les autres. Depuis qu’il n’est plus un citoyen du tout. » Et messagers de mauvaises nouvelles pour Matilda dont la mère est alcoolique et le frère junkie. Que s’est-il passé en 2005, pendant l’embrasement des cités pour qu’en 2013, Franck, Bouba, Matilda se croisent au Samu social ? Le dévoilement est progressif jusqu’au dénouement qui éclaire le mystère de la première page.

On est épaté par la maîtrise narrative de ce premier roman, par sa construction rigoureuse, par la sobriété du trait et la justesse des portraits. Certes, l’auteur sait de quoi il parle : travailleur social « depuis toujours », « il ne manquera jamais, dit-il, de sources d’inspiration ». Ce qui ne suffit pas à faire un écrivain. Il faut un style. Celui de Jean-Christophe Perriau est classique : un narrateur externe relayé par les points de vue alternés des trois personnages. Aucun surplomb, aucun jugement de l’auteur sur ses créatures. Des marginaux ? Oui, si l’on veut bien admettre que la marge fait partie de la page et le marginal de notre société.

Jocelyne Hubert

Jean-Christophe Perriau, Un monde trop petit, IN&DITS Noir, 2018