Après le succès de Grossir le ciel, Franck Bouysse était attendu au tournant. Voici donc Plateau, roman activement commenté depuis sa parution en janvier, allant des dithyrambes à de plus rares (mais parfois virulentes) critiques. Il faut plutôt chercher dans l’intervalle.
Décor familier : arbres, étang, chemins, vieilles maisons et leurs habitants. Les secrets qu’on imagine entre voisins, les pieds dans la terre depuis plusieurs générations. Le secret de famille semble être un incontournable cliché du roman rural, de Grossir le ciel à Si tous les dieux nous abandonnent en passant par La fille de la pluie. L’auteur réussit toujours ses personnages et leur environnement, la nature si proche d’eux. Il a les mots pour le dire et travaille son vocabulaire, les textures, les matières, les objets, les plantes et les objets au nom oublié, transplantoir, mâchefer, andain, mortaise. Les pierres, le ciel et les hommes au milieu. Au détour d’une conversation sur Dieu, Virgile et son ami Karl nous deviennent palpables. Et puis il y a le neveu, Georges, Judith la femme de Virgile atteinte d’Alzeihmer, le Chasseur, et Cory la jeune femme battue qui bouleverse le cours des choses.
L’écriture pâtit de quelques envolées qui l’éloignent de la sobriété de Grossir le ciel, revenant à certains travers de Vagabond. Soigner l’écriture, expérimenter, travailler le vocabulaire, mais ne pas alourdir par trop de maniérisme. L’équilibre est fragile. Cela n’enlève pas grand chose à l’ensemble et surtout, de beaux passages viennent faire contrepoids : une scène d’entraînement de boxe, les pensées solitaires de Georges et son envie d’ailleurs. Des dialogues font mouche.
« – Dis-moi ce que tu penses vraiment, pour une fois ?
– On serait ni meilleur ni moins bon, si on savait ce que pensent les autres, mais on pourrait pourtant pas s’empêcher de le croire. »
S’il faut citer une faiblesse au roman, elle repose sur un personnage : le Chasseur. Cette ombre menaçante qui plante des crânes d’animaux morts sur des piques s’avère inutile et peu crédible (quand on découvre son identité), surcharge ne servant qu’à faire rebondir une partie de l’histoire. Les êtres humains et ce qui les lie se suffisent à eux-mêmes.
« Il verse ensuite l’eau chaude dans un bol en faïence fissurée, saupoudre la surface de deux cuillérées de café soluble et autant de chicorée. Il jette deux sucres et mélange méthodiquement. La cuillère racle d’abord les parois du bol et se rapproche du centre en faisant un petit tourbillon au creux duquel s’agglutinent des bulles éphémères. Virgile observe la fumée monter au-dessus du breuvage et laisse le parfum rejoindre ses narines, poinçonner son cerveau. Il porte le bol à ses lèvres, boit, souffle à la surface et boit encore, à petites gorgées, ses coudes sur la table. Sa prière du matin au jour qui s’amène. »
Avec les voisins Gus et Abel dans Grossir le ciel, Franck Bouysse cadrait en plan serré. Il passe au plan large avec Plateau : plus de personnages à gérer, plus de détails dans lesquels s’égarer. Moins de temps pour l’écriture ? En tout cas, une petite déception.
Franck Bouysse, Plateau, La manufacture de livres/Territori, 2015, 300 p.
Entièrement d’accord. La chasseur n’était pas indispensable, certaines envolées alourdissent le roman, et il y a des moments exceptionnels, comme ceux cités, ou les relations entre Judith en Virgile.