Arthur Fleck dit Le Joker est un des méchants auquel se frotte Batman (Bruce Wayne). Le film de Todd Phillips propose de se centrer sur ce personnage négatif. Handicapé, Arthur Fleck est pris de fous rires nerveux et ne parvient pas à imiter convenablement ses héros (des comiques qui passent dans une émission de télévision, un show à l’américaine). Celui qui va devenir le Joker s’occupe de sa mère malade, il est sous traitement et prend des médicaments qu’il ne peut se procurer que par le biais d’un organisme d’État. Il vit avec sa maman, dans un immeuble miteux de la ville.
Au début du film Arthur Fleck, clown triste et raté, est molesté par des enfants, puis par des golden boys. C’est suite à cette deuxième agression, et à la façon dont il va régler le problème, qu’il devient l’emblème d’une révolte contre les riches.
Si le fait que la ville coupe les fonds qui permettent à Arthur de survivre avec sa maladie joue un rôle dans son passage à l’acte, on pourra regretter la vision simpliste que propose le film sur les riches, la pauvreté et la révolte. D’un côté les riches cyniques ont l’argent et le bon goût, de l’autre les pauvres ne peuvent accéder ni à l’argent, ni au bon goût. Arthur Fleck, lui, est maintenu à flot par ses médicaments. La réponse des pauvres : le nihilisme. Car c’est bien la valeur que semble incarner le Joker, porté aux nues par le peuple de Gotham en colère. Todd Phillips se défend d’avoir fait un film politique (1), il glisse cependant des éléments qui imposent le débat, et posent des questions (voir par exemple cet article sur le site Le Rayon Vert).
Le film propose plusieurs lectures sur l’histoire de la mère du Joker : est-elle la folle qui est en partie responsable du handicap de son fils ? A-t-elle été trompée par Thomas Wayne, l’homme qui se présente à l’élection pour devenir maire de la ville ? Il serait étonnant que les discussions ne s’enflamment pas à la sortie des salles de cinéma.
Tout est-il si noir à Gotham City ? Oui. Le seul échappatoire pour Arthur Fleck est fatalement une histoire d’amour fantasmée. Rien, absolument rien ne pourra le sauver et il ne pourra s’accomplir (survivre ?) qu’en devenant le Joker, au terme d’un parcours aux étapes de plus en plus terrifiantes. Comme semble le dire le film, les riches de Gotham récolteront ainsi ce qu’ils ont semé. Un méchant à la hauteur de la ville.
Du point de vue formel le film est triste et beau, la ville de Gotham est dépeinte sans effets tape à l’œil. Tout sonne juste de ce côté. Les acteurs, tous plus déprimants les uns que les autres, jouent à la perfection. La seule note d’espoir, le seul personnage qui paraît positif est la voisine d’Arthur (et sa fille). Elles sont comme une bouffée d’oxygène qu’Arthur tente d’ailleurs de s’approprier…
Là où la grâce de Joaquim Phenix (Arthur Fleck) aurait pu atteindre le chef d’œuvre (notamment dans les scènes de danse) la musique est trop présente. On se prend à rêver d’une danse silencieuse dans l’appartement ou dans les escaliers. On imagine la puissance encore plus dérangeante qui aurait pu se dégager de telles scènes, avec une réalisation un peu plus sobre. À l’image de la séquence très violente, dans laquelle Arthur règle ses comptes avec un de ses collègues, le film en fait parfois trop.
Le film, profondément dépressif, n’oublie pas de se référer à Taxi Driver qui relate le parcours d’un paumé décidé à nettoyer la ville de la gangrène. On notera aussi au passage que les supers pouvoirs ne semblent pas exister ici. Mais quoi qu’il en soit, que l’on connaisse l’univers des supers héros américains ou pas, et malgré quelques réserves, Joker est un film à voir.
Emeric Cloche.
(1) voir Mad Movies n°332 du mois de Septembre 2019.