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Fast food de Grégoire Damon

Fast food de Grégoire DamonBienvenue chez Meecoys, le restaurant où vous pouvez manger des Big Meecs. Derrière ces murs, on trouve des hommes et des femmes, jeunes vieux noirs et blancs, qui bossent là pour payer leur loyer. Englués dans l’huile de friture, ils subissent un monde avec le management pour horizon, celui qui veut éradiquer les dernières petites parcelles d’humanité. « Sa mission de manager, il y croyait. Qu’est-ce que vous voulez répondre à un type persuadé qu’il est venu au monde pour préserver l’amour et la fraternité au sein du capitalisme ? »

Grégoire Damon dévoile des personnalité, des caractères, des antagonismes et des amitiés. Certains crèvent au boulot. Tous travaillent, esclaves d’un fast-food des quartiers chics. Essorés par une journée de travail, il leur reste encore le trajet du retour vers les habitats guère resplendissants, et plus une once d’énergie pour songer à poser sa démission. D’autres résistent comme ils peuvent, à coup de steack récupéré gratis, ou de pause clope dérobée. Ces luttes fugaces rassurent, à l’heure où l’avenir se profile dans le travail à tout prix, peut-être bientôt sans possibilité de choix, passant d’horticulteur à serveur… Et puis même dans l’huile, on peut trouver des moments de grâce. Les précaires pressurisés ont du cœur à l’ouvrage et vivent des « rushes mystiques », dans l’adrénaline et la communion avec les collègues. Les rêves existent, même s’ils sont fugaces et simples. Avoir 20 ans et acheter des meubles pour son premier appart’, fantasmer sur la voisine d’en face derrière son rideau, ou se faire poète une bière à la main le long du fleuve.

Fast food est un projecteur posé sur ceux qui ne s’en sortent pas, en même temps que le récit d’un parcours vers l’écriture. Celle de Grégoire Damon a la beauté de la discrétion et de la tournure juste. Le roman pourrait se faire cynique ou moralisateur, il déborde de tendresse et de retenue, la souffrance accompagne la joie, et la liberté existe pour chacun.

« – Mais ce que je vais te dire ne va pas te surprendre : on peut compter que sur soi-même. Ou tu détruis le système, ou c’est lui qui te détruira. Tiens, j’ai des envies de guérilla en ce moment.
– Facile à dire, camarade. Mais comme tu le dis si bien, tout seul on ne peut pas faire grand chose. Et si je te disais combien de prolos de gauche j’ai rencontrés depuis le début de ma carrière, c’est toi qui chialerais dans mon giron. »
– J’ai raison, petit homme. Et tu le sais. »

Il y a des guérillas qu’on peut mener à sa hauteur. Ceux du Meecoy en tentent une, éclatante et pas si manquée que ça, une lutte de proximité. Le narrateur fait la sienne, à sa mesure. Chaque pas compte.

Caroline de Benedetti

Grégoire Damon, Fast Food, Buchet Chastel, 2018, 16 €, 230 p.