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Utopiales Nantes, jour 4

Utopiales Nantes, jour 4

La fatigue commence à se faire sentir, les journées sont denses, une partie de l’équipe Fondu est malade… Il fait chaud à la Cité des Congrès et l’accès aux tables rondes n’est pas simple. Pour espérer une place dans la petite Agora, il faut venir 30 minutes avant le début de la rencontre. Vu le haut niveau et la technicité de certains sujets, il faut se réjouir de l’intérêt du public.

Le succès des tables rondes, des sujets pointus

À 14h il était possible de s’interroger avec Aymeric Seassau, Raphaël Granier de Cassagnac, Olivier Bérenval et Dominique Douay sur « Le long labeur du temps ». Que sont devenus les défis qui excèdent la durée de vie humaine ? L’Homme n’a-t-il pas cessé d’investir dans de grands projets, comme les pyramides et les cathédrales, dont il ne voit pas l’aboutissement de son vivant ? Difficile de ne pas constater que la société moderne va vite. Les causes sont doubles pour Olivier Bérenval : les mandats électifs des politiques, et les pressions courts-termites du secteur privé. Aymeric Seassau remarque que les projets type pyramides et cathédrales visaient l’éternité de l’objet et le sacré, des buts qui ont peut-être disparu. Nous sommes, dit-il, passés d’une société d’ordre et esclavagiste à une société salariée où le temps de travail est négocié.

Utopiales Nantes, jour 4La disparition des grands défis ne reflète-t-elle pas l’état d’esprit de notre société ? Voir les choses avancer vite nous freine peut-être et mène au « À quoi bon ? » Dominique Douay fait remarquer que le commissariat général du Plan mis en place par De Gaulle a donné le centre Pompidou, la pyramide du Louvre, la BNF, l’Arche de la Défense… Depuis qu’il a été renommé France Stratégie, il n’a rien produit. Pourtant la trace que l’Homme peut laisser n’est pas seulement dans la pierre, Dominique Douay et Aymeric Seassau s’entendent pour dire que la trace sociale et politique compte : la déclaration des droits de l’Homme, ou le CNR qui projetait une société possible depuis le maquis. Mais les idées sont plus facilement remises en cause, on le voit aujourd’hui avec les lois qui sont détricotées. « Gauchiste », murmure alors une voix derrière moi…

Aujourd’hui, concevrait-on des TGV ? Qu’est devenue l’innovation à l’heure où Airbus produit un A320 par jour, sur un modèle vieux de dizaine d’années, qui sert à redistribuer plus de dividendes qu’il ne produit de bénéfices. La solution viendra-t-elle du secteur privé et des « philantropes » comme Mark Zuckerberg et sa fondation ? Ces groupes financent les recherches pour aller sur Mars, travailler sur l’immortalité, le mouvement Giving Pledge fournit des vaccins en Afrique… Il est tout de même inquiétant que ces projets soient tenus par le privé, qui joue le rôle de mécènes et prend une place vacante face aux États endettés. Si nous vendons nos technologies, comment garder la souveraineté de nos projets futurs ? Si le privé abandonne ces projets, que se passe-t-il ? L’espoir, pour Raphaël Granier de Cassagnac, viendra peut-être de l’écologie.

Une autre rencontre attire la foule : vaccins et antibiotiques. Des idées reçues y sont déconstruites avec humour et sérieux, en réponse aux nombreuses informations contradictoires qui circulent en ce moment. Ainsi, sachez que si l’aluminium vous effraie il vous faut prendre soin de cuisiner le plus vous même et éviter toute pâtisserie industrielle, bourrée d’aluminium. Si vous reconnaissez que la finance et le profit motivent les labos, il semble que les vaccins ne leur rapportent qu’1 % de leurs revenus, autant dire qu’un malade (donc non vacciné) hospitalisé et soigné avec leurs produits est bien plus rentable. Comme lors du débat sur le mensonge sur Internet, la question de la croyance face à la rationnalité revient. Bien sûr, des scandales comme le Médiator et le H1N1 ont entamé la confiance du public et la légitimité des médecins. Le médecin précise qu’un grand usage des antibiotiques a crée une antibiorésistance dommageable : il faut éduquer et rappeler que les antibiotiques ne sont pas anodins. L’avenir ? Il viendra sans doute des travaux actuels, sur la flore intestinale et ses bactéries, sur les cellules cancéreuses…

Les tables rondes peuvent aussi se picorer pour le plaisir de saisir au vol quelques phrases et de mesurer l’intérêt des réflexions. Durant « Les paradoxes du temps », une personne du public demande si le moment présent ne porte pas déjà les critères du voyage dans le temps depuis le futur. Pendant « La géopolitique de la bande-dessinée » le constat est que nous sommes arrivés à une civilisation trop grosse et complexe, à tel point que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) travaillent sur l’intelligence artificielle car à leurs yeux l’humain est dépassé au point de prévoir des États dirigés par ces mêmes GAFA. Las, la fatigue et la foule nous découragent d’aller écouter la sans doute passionnante rencontre sur « La police prédictive ». Mais il reste le cinéma !

Courts-métrages session 4

La quatrième session de courts-métrages qui vient clore quatre matinées de visionnage est aussi réussie que la session qui ouvrait ces Utopiales 2017. It’s all in your head (Canada, Greg Jeffs) parle des peurs enfantines sous forme de compte en inversant habilement les rôles. Caronte ( Espagne, Luis Tinoco) nous raconte une histoire qui arrive à mêler Space Opéra, notre époque  et le Fantastique sur trois niveaux différents, c’est encore le thème de la perte d’un être cher qui est admirablement traité ici. The Meltdown (Connor Kerrigan) traite de façon caustique et en animé des relations de travail au coeur d’une centrale nucléaire, très bien vu. Hybrids (France, Brauch, Pujol, Tailhades, Thireau, Thirion) animation aquatique hallucinante, dommage que l’histoire soit archi ressassée. The Boogey’s (Canada, Sanjay François Sharma) arrive en peu de temps à poser des personnages et un univers et à y dérouler une histoire qui se tient. Voyagers (France, réalisation collective) est le deuxième film de l’école d’animation MOPA réalisé dans un style dessin animé actuel, cette fois-ci l’histoire est développée, quelques scènes bien drôles se succèdent, maîtrisée, c’est le court-métrage où tout est à sa place, peut-être un peu trop du coup… Last Standing (Australie, Agnes Baginska) est produit – excusez du peu – par David Lynch, très bien réalisé, très bien joué dans un monde post apocalyptique, le problème c’est que cette histoire très gentille de petite fille qui veut sauver un homme arbre de ses méchants parents (pas sûr cependant qu’il s’agisse de ses parents) qui veulent l’exploiter est beaucoup trop évidente dans son scénario et dans les bons sentiments. Voilà c’est surtout histoire de râler un peu, car franchement le niveau des courts-métrages de cette édition est assez effarant et l’on vient à se dire que si les équipes impliquées dans ces 28 courts métrages réalisent un jour quelques longs métrages, les salles de cinéma françaises vont être OBLIGÉES de programmer un peu plus de films de genre.

Cold Skin le nouveau film de Xavier Gens

Utopiales Nantes, jour 4

 

Nous l’avons dit, chaque session de courts-métrages proposait au moins un court d’obédience fantastique. C’est dans ce genre que s’inscrit le nouveau film de Xavier Gens qui adapte un roman de l’écrivain catalan Albert Sanchez Pinol, quelque part entre Hodgson et H.P Lovecraft. L’histoire se déroule en 1914 sur une île déserte, les décors marins (mer, vagues, rochers, plages, maison de bois, phare…) sont somptueux, le duo d’acteurs est très bon et la créature est tellement bien réalisée que pas une fois on ne pense aux effets spéciaux. Xavier Gens présente son film aux festivaliers et prévient qu’il n’a pas fait un film hollywoodien, mais un film d’ambiance qui prend son temps. C’est vrai, il aurait aussi pu dire que le film démontre que lenteur ne veut pas forcément dire longueur. On ne s’ennuie pas durant Cold Skin. L’histoire se sert des ressorts classiques du genre sans que l’on ne voie venir les choses. Une fois qu’elles arrivent on se dit « mais c’est bien sûr ! ». Ajoutez à cela une réflexion sur l’humanité, la différence et la guerre et vous aurez un aperçu de ce film que l’on espère voir en salle en France (ce qui n’avait pas été le cas avec The Divide…).

Emeric Cloche et Caroline de Benedetti