Sébastien Raizer est un nouveau venu dans le polar français, mais pas dans le paysage éditorial, puisqu’il a co-fondé les éditions musicales Camion Blanc, et leur versant Camion Noir.
Avec L’alignement des équinoxes il signe un premier roman qui tient du thriller mystico-japonisant. Mystico, pour les références et la philosophie ; japonisant, idem. D’ailleurs, tout commence avec un homme décapité au sabre par une femme. Derrière ce meurtre et d’autres, un psy manipulateur surnommé La Vipère veut atteindre l' »alignement », un état d’épanouissement supérieur. Deux flics, Wolf et Silver, enquêtent sur l’affaire qui va les toucher au-delà de la normale. Wolf et Silver, ce sont des pseudos bien sûr, ils ont des vrais noms comme Luc Hackman (ancien commando qui a fait la guerre, à le lire on dirait le Vietnam) et Linh Schmitt (orpheline laotienne devenue bouddhiste qui mange vegan). Les considérations philosophiques des personnages rappellent l’adolescence et ses questionnements sur la vie-la mort-et ma place dans tout ça ? Si vous avez dépassé ce stade, la lassitude vous guette, même si la partie thriller a suffisamment de rythme pour faire avancer la lecture sans ennui.
Derrière ce divertissement avec ses personnages hauts en couleur, il y a une deuxième couche dont le parfum peut parfois écoeurer. Wolf, décrit comme un soldat guerrier adepte du travail d’équipe, plante le décor dès la page 39, après qu’il soit intervenu sur la scène du suicide d’un jeune : « Darwin est le véritable ordonnateur de ce monde, largement au-dessus de toutes les crapuleries religieuses, politiques, et bancaires qui à cette échelle constituent une simple diversion. » Difficile de savoir quelle serait la société idéale de Wolf. Il aime l’ordre naturel des choses (tiens), trouve que le rôle de la police est d’éliminer les déchets de la société (oui, déchets), des individus « dégénérés » (oui, dégénérés) qui sont comme des polluants. « Le capitalisme appliquait strictement les lois du darwinisme social. Lui, Wolf, était une arme. Et le système social ne se servait pas de cette arme pour éliminer ses propres déchets, mais pour les canaliser vers une poche de rétention cancéreuse. C’était absurde. Le système social n’était pas aligné. La société était une dégénérescence. »
On ne sait pas trop s’il pense au SDF qui carotte sa bouteille de pif, au mec qui trafique de la dope, au banquier qui joue avec les marchés ou au type bourré qui se fait prendre en excès de vitesse. En tout cas, le merdier a ici l’air d’être plus de la faute de l’individu que d’un quelconque fonctionnement de la société. Certes, le personnage n’a pas à être sympathique. Et, après tout, si avec ses amis flics il considère que l’administration est trop procédurière, que la loi fait un peu chier et qu’il faut se décider à agir en dehors des règles, on veut même bien le comprendre un peu. Bon, ce sont toujours les mêmes qui s’accordent la liberté de transgresser, mais ne finassons pas… Il est vrai que ce monde est pourri, tout le monde s’entend pour le dire, mais tout le monde n’en tire pas les mêmes conclusions.
Et puis, un détail surgit dans l’histoire : les meurtres en série seraient couverts par les politiques afin de garantir la paix sociale. En voilà une nouvelle, les politiques nous mentent (on s’en doutait) mais pour nous cacher qu’en fait les tueurs en série sont partout. Loin de moi l’idée d’imaginer que ce soit dit sérieusement, ceci est une fiction, mais au juste, pourquoi cet élément ?
Ces quelques éléments et d’autres produisent une petite démangeaison. Il flotte un air de loi du plus fort enrobé de charabia douteux. Les personnages se parent d’une aura particulière parce qu’ils se sentent en communion avec la nature en faisant leur footing (moi aussi ça m’arrive de m’émerveiller en croisant un canard sur l’étang quand je cours et de respirer le parfum des fleurs comme si elles étaient là pour moi). Ce sont peut-être des aventuriers modernes, en prise avec le dark web, côtoyant des vegan et des terroristes verts ; ils amalgament surtout des tendances d’aujourd’hui qui ressemblent à de l’épate sans beaucoup de fond ; une critique du capitalisme avec laquelle tout le monde va facilement tomber d’accord. La comparaison avec Dantec apparaît justifiée et explique sans doute le succès que semble avoir ce roman, dont la suite déjà annoncée permettra peut-être de voir la direction que prend l’auteur. Serez-vous aligné ?
Caroline de Benedetti
Sébastien Raizer, L’alignement des équinoxes, Gallimard/Série Noire, 2015, 463 p., 20 €