Le titre est programmatique : ce film est un bijou peu ordinaire et relève sans conteste du genre « film noir ». Un bijou donc, par la qualité du scénario, la maîtrise du récit, le raffinement de l’image, le choix du casting et de la bande son. La tentation est grande– et la majorité des critiques ne s’en prive pas – de filer la métaphore diamantaire. L’aspect documentaire de la filière, les enjeux économiques , et surtout les nombreuses références à l’art du tailleur de pierres précieuses peuvent en effet se lire comme une métaphore du cinéma. Mais c’est d’abord un excellent film de genre, façon Jules Dassin ou Robert Wise ; c’est le récit nerveux des préparatifs et de la réalisation d’un casse ambitieux : un atelier de tailleur de diamants à Anvers. Récit mené de main de maître : on est époustouflé par la maîtrise d’un jeune cinéaste dont c’est le premier long métrage. Audiard (Jacques) peut aller se rhabiller… Ou s’acheter un nouveau chapeau ! Arthur Hariri proclame à qui veut l’entendre (et ils sont nombreux aujourd’hui et c’est tant mieux !!!) que c’est Shakespeare qui a influencé l’écriture de son film. Amusant ! Et efficace semble-t-il : plus d’un critique titre sur l’idée d’un thriller skakespearien. Jean Luc Godard autrefois ne manquait pas de se réclamer de Conrad à la sortie de Détective et Johnny Hallyday affirmait avoir lu – ou gardé dans sa poche, on ne sait plus ! – Lord Jim pendant tout le tournage du film ; ce que Niels Schneider affirme avoir fait avec Hamlet.
Foin des étiquettes ! On n’est pas au royaume du Danemark, mais à Barbès (pour commencer) où un petit délinquant, Pier, décide de venger son père qui vient de mourir en faisant payer – dans tous les sens du terme – la riche famille de diamantaires dont il est issu et qui l’avait exclu et déshérité de manière infâme. Tout lecteur de polar sait que la vengeance est l’un des ressorts récurrents du genre. Ici, elle prend la forme d’un désir de « réparation » : l’orphelin qui a tout perdu entreprend de tout reprendre en s’introduisant de manière anodine et sournoise dans la famille détestée – d‘où le cambriolage, soigneusement préparé avec Rachid, son père de substitution. Et c’est là que le film est le plus original, dans l’évolution des rapports entre Pier et ses pères symboliques. Il y a d’abord le père biologique dont il n’aura de cesse de chercher à élucider les secrets, puis l’oncle Joseph, frère du père (le riche diamantaire ) image haïssable de l’usurpateur, et enfin Rachid, le fidèle mentor, qui aide Pier à définir sa quête : la réparation, pas le meurtre ! – et à la réaliser. On ne vous dira pas de quelle façon ces rapports évoluent. Le spectateur, amateur du genre, a bien une petite idée de dénouement, mais chacun sait que ce n’est pas le but du voyage qui compte mais le chemin qui y mène. Et alors, là, chapeau ! C’est un voyage haut de gamme.
L’une des idées géniales du film est d’avoir confié les rôles de pères symboliques à deux personnalités artistiques qui enrichissent leur composition de tout un univers personnel : Hans Peter Cloos dans le rôle ingrat de l’oncle Joseph évoque évidemment le théâtre allemand, celui de Fassbinder et surtout d’Heiner Muller, célèbres notamment par leur réécriture de mythes anciens. Alors, oui, Hamlet, pourquoi pas, mais pas celui de Shakespeare, celui de Muller (Hamlet Machine). Que dire d’Abdel Hafed Benotman dans le rôle du charismatique Rachid, si ce n’est qu’il y est magnifique. Quiconque a croisé un jour le regard et le sourire d’Hafed Benotman s’en souvient : c’était un concentré d’humanité dont il investit ici son personnage, à tel point qu’on a parfois l’impression qu’il s’est écrit lui-même ses dialogues. Diamant Noir, c’est donc aussi l’occasion unique de revoir et ré-entendre une « voix chère » qui s’est tue. Le 20 février 2015.
Jocelyne Hubert
DIAMANT NOIR, film d’Arthur Harari avec Niels Schneider, August Diehl, Hans Peter Cloos, Abdel Hafed Benotman, Rafaële Godin – 1h55. Sortie nationale 8 juin – Prix du jury au festival du film policier de Beaune édition 2016.