Écrire l’ailleurs
Nous avons déjà abordé le sujet avec Jan Costin Wagner, Les requins de Trieste en est un autre exemple : Le Krimi allemand aime ancrer ses histoires géographiquement. Veit Heinichen semble être tombé amoureux de la ville de Trieste ; c’est là dans une ambiance portuaire et estivale qu’il place son personnage récurrent : le commissaire Laurenti.
Polar classique
Style et histoire sont de facture classique, la vie du commissaire Laurenti s’entremêle avec l’enquête en cours. Laurenti est plutôt pépére et n’a pas vraiment de gros problèmes, il ne boit pas, sa femme n’est pas en train de le quitter et ses enfants ne se droguent pas. À l’image de l’enquête en cours (la disparition d’un riche triestini) tout est plutôt tranquille dans ce roman. On notera quelques récurrences de style un peu lourdes (vieux jeu, serions-nous tenté de dire), comme le fait de préciser qu’une femme est jolie pour la décrire. Le commissaire a des problèmes banals : sa fille participe à un concours de beauté et la ventilation dans la cour de l’immeuble où il habite fait trop de bruit. Plutôt original, à l’heure où chaque (anti) héros de polar est confronté à de terribles conflits.
Veit Heinichen et Georges Simenon
Pour préciser que « les noms, les personnes, les événements sont fictifs » mais que « les descriptions historiques correspondent à la réalité » Veit Heinichen évoque l’affaire qui avait opposé Georges Simenon à la gérante de l’hôtel Central au Gabon. La dame s’était reconnue dans le roman Le Coup de Lune et avait porté plainte pour atteinte à la vie privée. Dans le cas de Veit Heinichen on ne sait pas si la véracité se situe au niveau des faits historiques qui émaillent son récit sur la ville de Trieste, ou au niveau des informations qu’il donne sur le trafic de réfugiés, de cigarettes, de prostitués et sur l’acheminement d’aide humanitaire européenne (un énorme enjeu financier). Le roman policier donne souvent des informations au milieu de situations romanesques. La parenté avec Simenon, bien plus que dans le style (Simenon s’en sort mieux qu’Heinichen) se trouve dans la façon faussement tranquille de raconter une histoire. Reste à savoir ce que donne le reste de la série.
Emeric Cloche
Veit Heinichen, Les requins de Trieste, traduit de l’allemand par Alain Huriot, Seuil, 2006, 326 pages, 7 €.