Comment formuler une déception ? Faut-il se taire quand un auteur dont les romans vous ont tant plu fait un raté ?
Il y a l’intention, évidente, de parler de la violence des hommes, avec une structure qui évoque le roman noir américain : un homme et la fille qu’il ne faut pas, le décor et des symboles d’innocence pour apporter du contraste. Un parfum cinématographique, quelque part entre Hot Spot et Le facteur sonne toujours deux fois. Un homme sort de prison. Au lieu de son frère il voit arriver la bimbo et découvre une famille de tarés, avec un chien effrayant et une petite fille. Est-ce ce cadre resserré, ce presque huis-clos, qui ne convient pas à l’auteur ? Le récit se déroule de façon prévisible. L’histoire est racontée avec un style bien lourd – comment journalistes et chroniqueurs ont-ils pu parler « d’épure » ? – surchargé d’adjectifs, de métaphores bancales et répétitives, de silences à la pelle, de la « noirceur » forcément « insondable », et des choses comme « Il a dévisagé cette expression maussade, ce masque d’amertume que trouait la bouche aux dents mal implantées se chevauchant comme des morceaux de palissade bousculés par une tempête. » ou « Il a eu le temps de fumer trois cigarettes en écoutant cesser le clapotement de la pluie s’éloignant vers le sud avec des grognements sourds d’orage ».
La chute apporte un peu de surprise et d’émotion (est-ce justement le changement de cadre ?). On finit en regrettant le chemin trop balisé sur lequel s’est embarqué l’auteur. Le titre, lui, symbolise cette sensation d’artifice, avec une comparaison homme/canidé qui dans l’écriture se fait plus souvent autour des serpents. L’homme, chien ou loup, a été traité de meilleure façon par Stéphane Jolibert (Dedans ce sont des loups). Quant au roman noir américain, il lui a joliment été rendu hommage par le français Xavier Gloubokii avec Ecorces chez Liana Levi.
Caroline de Benedetti
Hervé Le Corre, Prendre les loups pour des chiens, Rivages, 2017