Aujourd’hui nous ajoutons un nouveau nom à la liste des auteurs de Krimi, et pas des moindres. Friedrich Ani naît en 1959 et vit à Munich. Il écrit et publie depuis les années 80, dans de nombreux styles : poésie, roman, scénario, pièce radiophonique, pièce de théâtre, roman jeunesse… Sa notoriété est bien plus grande en Allemagne qu’en France, malgré ses nombreux prix. Les éditions du Serpent à plumes publient Le droit du sang en 2004 (German Angst, 2000), et c’est tout, jusqu’à ce que Jacqueline Chambon sorte M en 2015. Il y a donc un « trou » de 16 romans entre ces deux opus de la série des enquêtes de Tabor Süden.
Ancien policier devenu détective, Süden a rejoint l’agence Liebergesell, du nom de sa fondatrice, une femme marquée par l’enlèvement de son fils. Avec eux il y a Patrizia, également serveuse, et le vieux Leo. Tous les quatre forment un quatuor soudé et original, marqué à différents niveaux par la mort. Une femme journaliste les embauche pour retrouver son amant chauffeur de taxi, ce qui les mène rapidement vers l’extrême droite munichoise. Ainsi que la police et les services secrets.
« – Pourquoi dites-vous néo-nazis ?
– Pardon ?
– Quelle est la différence entre néo-nazis et nazis ?
– Nous ne vivons plus à l’époque du national-socialisme, dit Süden.
– Et c’est pour ça qu’il n’y a plus de nazis, seulement des néo-nazis ? (…)
– Les nazis restent des nazis. Comme les policiers restent des policiers. Vous par exemple, si vous remettiez l’uniforme, vous seriez un néopolicier ? »
La recherche du chauffeur disparu s’avère éprouvante pour tous. Elle est décisive et sent la mort. M n’a rien d’un roman à rebondissements, il est fait de petits actes et de nombreuses pensées, et servi par des personnages – tant les femmes que les hommes – très réussis. Leur taille, la couleur de leurs cheveux ou leur cursus universitaire nous sont épargnés, l’auteur nous les rend familiers par leurs souffrances, leur point de vue sur le monde autour. Bien plus intéressant.
M n’est pas sans rappeler la gravité et la force d’un Jan Costin Wagner. Une écriture particulière chez les deux auteurs produit une impression forte et durable. Il s’agit d’un livre dont le contenu politique n’est pas livré frontalement. Des mystères et des non-dits demeurent, et le lecteur, tout doucement, finit par devenir un membre de cette équipe et percevoir en même temps qu’eux les forces qui oeuvrent sur une ville et un pays. À quand la traduction du prochain Friedrich Ani ?
Caroline de Benedetti
Friedrich Ani, M, Jacqueline Chambon, 2015, 352 p., 23 €,
traduit de l’allemand par Johannes Honigmann.