À quelques exceptions près, nous sommes tous émus par le sort des hommes et des femmes obligés de fuir la Syrie ou l’Erythrée, ces réfugiés autrement appelés migrants. C’est ensuite que ça se complique, quand il faut analyser le pourquoi et les solutions.
Dans la Jungle de Calais, l’auteur pose son cadre avec un critère : l’humanitaire. « Je crois qu’on est d’accord pour dire que tous ces types dans la Jungle fuient la guerre ou la famine. On n’est pas sur une simple migration économique mais sur un exil forcé. » L’empathie est bien sûr plus forte vis à vis d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont la mort pour horizon. Ceux dont il nous apprend qu’on leur a bricolé un statut à part, celui de réfugié potentiel, parce que « si on refuse de les intégrer à la France ce n’est pas pour les faire rentrer dans le système judiciaire. (…) Ni on ne les arrête, ni on ne les aide. »
Voilà pour les victimes, les migrants. Leur sort est triste. Ok. Mais la destruction de la Jungle est une décision de l’Etat. Sans aucun doute. « Ca fait près de deux ans qu’on ferme les yeux », dit un policier. Ok, mais sur quoi exactement ? Leurs actes ? Leur rôle ? La situation ? Attardons-nous donc un peu sur la description de la police, dans ce roman écrit par un policier qui a sans aucun doute ramené du « réel » de son séjour à Calais.
Le personnage principal, Bastien, débarque à Calais pour prendre la tête d’un maigre groupe de deux collègues. Dans un bureau voisin il croise ses voisins de la BAC. Plutôt sympathiques. L’un d’eux dit de son boulot qu’il aurait « presque honte de le décrire. Mais personne ne peut le vivre. Nous, on y arrive à peine. » Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est la BAC : « Brigade anti-criminalité. Unité de police de commissariat spécialisée dans les interventions sensibles et dans le soutien opérationnel aux services d’enquête. Ses effectifs sont en tenue civile et voiture banalisée. » Il n’est pas précisé que la BAC est envoyée depuis peu dans des manifestations et à la sortie des lycées. À Calais Passaro le baqueux explique au novice : « J’ai des collègues que ce travail dégoûte et c’est mon assurance que le job sera fait, sans abus, sans plaisir malsain. Si on les appelle des zombies c’est pour les déshumaniser, parce que notre seule mission c’est de tirer sur des hommes, des femmes et des gosses qu’on devrait normalement protéger. »
Au fil de l’histoire, nous apprendrons que les dépressions et les arrêts de travail pullulent à Calais, que les mutations sont bloquées sinon tous les effectifs se barreraient et que la police manque de moyens. On ne compte vaguement qu’un maître-chien reconnu con à demi-mots, et un CRS qui reprend le discours « en accueillir un c’est en voir 100 débarquer ». À plusieurs reprises, le roman montre des policiers sensibles et soumis à des cas de conscience. En attente dans leur camion, les CRS discutent et l’un deux constate « Tous ces migrants, là, c’est comme s’ils fuyaient un assassin en série, qu’ils frappaient à notre porte et que nous, on faisait semblant de pas entendre ». Quand la nuit l’autoroute se transforme en lieu d’affrontements, que les lacrymos finissent de se dissiper, un gamin chute et un « flic, anonyme en tenue Robocop, le releva avec précaution ». Certes, un baqueux explique qu’ils tirent « tellement de grenades lacrymo qu’elles arrivent toutes les semaines par palettes. (…) on en a claqué pour près de deux millions d’euros en une année. » Alors face à ça, à une ville avec ses plages désertées par les touristes et ses commerces fermés, la version proposée est celle de l’exaspération des policiers et des habitants, plus que de leur connerie. Un travail difficile, que personne ne veut faire et qui mine le moral. Qui se limiterait à lancer des grenades lacrymos lorsque les migrants tentent des mouvements. Le lecteur veut bien croire et compatir. Olivier Norek amène indiscutablement des détails intéressants, mais il est aussi piégé par son appartenance à l’institution qu’il présente de façon plutôt monochrome. Comme dans Territoires, toute la responsabilité retombe sur l’État. Le roman s’ouvre sur la destruction de la Jungle par des pelleteuses. Pas sur le travail mené par la police pour les en chasser. Bien des choses n’apparaissent pas : qu’en est-il par exemple des pressions sur les militants des associations ? Des confiscations de sacs de couchage ? Du point de vue de la mairie et plus largement des politiques décriés ?
Côté intrigue nous avons Adam le flic syrien, opposant à Bachar, qui cherche sa femme et sa fille dans la Jungle et s’entiche d’un gamin muet, Kilani. L’auteur évoque aussi le reste du panorama : les Calaisiens en colère infiltrés par les fachos, le travail des associations, la présence des No Border qui filment « afin de faire sensation sur les réseaux sociaux ». Dans ses remerciements il renvoie vers Police de Hugo Boris et ça n’a rien d’étonnant.
Les gouttes ruissellent sur la photo de couverture, nul doute qu’elles couleront aussi chez le lecteur. L’histoire d’Adam et de Kilani ne peut qu’émouvoir. Bastien et sa fille sont attachants et drôles. La fiction a cet avantage de nous faire toucher la réalité de situations, de nous donner à comprendre certains enjeux en incarnant leurs protagonistes. Toutefois, Entre deux mondes gagnerait à dépasser le registre de l’émotion. Un peu comme, à son époque, le film de Philippe Lioret, Welcome.
Nota : la photo d’Olivier Favier est à retrouver sur son site qui consacre de nombreux articles à Calais et aux migrants.
Sur la situation entre les CRS et la BAC, une autre vision ici.
Olivier Norek était invité de La Grande librairie. On notera la phrase de François Busnel, « je ne suis pas certain que ce soit résolument un polar » à laquelle a heureusement répondu l’auteur » j’ai toujours eu l’impression que les polars, et le roman noir, étaient un peu des livres d’Histoire en avance. »
Caroline de Benedetti
Olivier Norek, Entre deux mondes, Michel Lafon, 19,95 €, 413 pages
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