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Utopiales Nantes, Jour 1

Utopiales Nantes, Jour 1

Cette année Les Utopiales commencent le jour des morts, le 1er Novembre. La mort est un des éléments phare du fantastique qui a sa part dans les littératures, les jeux et les films présentés sur le salon. Le sujet de cette édition est le Temps et c’est bien ce dont on manque dès le début pour aller voir tout ce qui nous intéresse… Nous nous sommes donc dupliqués : Caroline a assisté à une conférence de David Calvo, Emeric et Justine sont allés au cinéma dans la salle Dune.

Courts Métrages Session 1

Utopiales Nantes, Jour 1La barre est placée très haut, difficile de faire son choix entre les 7 films proposés pour cette première session de courts-métrages en compétition aux Utopiales. Entre le classique 2BR02B : To Be Or Naught To Be (Checa Garcia – USA / Canada) tiré d’une nouvelle de Kurt Vonnegut, Cenizo le court métrage de résistance du réalisateur espagnol Jon Mikel Caballero qui mélange habillement univers de BD et film réaliste, le huit clos introspectif et cauchemardesque Animal (USA, Ryan Curtis), l’effroyable Behind (Angel Gomez) qui nous rappelle que les espagnoles savent y faire en film d’épouvante, Eye Contact (Stuart Mannion, Australie) qui propose une habile critique de notre univers en permanence connecté au réseau où l’Internet devient un genre de cerveau auxiliaire, le tendre et comique Einsten-Rosen (Olga Osario, Espagne) pour finir avec un Gerontophobia (Boris Sverlow, Belgique) qui reprend une esthétique de film muet et des décors des années 20/30. Mondes futuristes, gestion de la démographie, crise économique, invasion extra-terrestre, fantastique, monstres terrifiants, anticipation technologique, espace-temps, phobie du vieillissement… Les thèmes et les genres abordés sont variés. Le choix d’un court-métrage favori est difficile. Tous les films présentés possèdent quelque chose, même le plus classique d’entres eux. Cette session est un régal.

Post apocalyptique, Harlequin et boucles temporelles

Utopiales Nantes, Jour 1Les Utopiales c’est l’occasion de découvrir des films en avant-première. À une époque où les salles de cinéma françaises sont plutôt frileuses quand il s’agit de film de genre, c’est l’occasion de voir sur grand écran des films que l’on croise rarement.

En compétition, Hostile est le premier long-métrage du français Mathieu Turi produit par Xavier Gens. L’idée du film – cette construction sur deux époques – est bonne. La partie post-apocalyptique, l’histoire et la façon de la raconter sont réussies. La partie passée (celle qui se passe à notre époque, avant l’apocalypse) est trop proprette et archi ressassée : Juliette, une jeune fille perdu rencontre un jeune homme riche lors du vernissage d’une exposition de Bacon. Ce chevalier – je n’ai pas d’autre mots… – qui vient d’hériter de quelques appartements et oeuvres d’art va essayer de la sortir de la drogue. On pourra toutefois s’interroger sur sa personnalité et sa part de manipulation. Le sentimentalisme de leur histoire est un peu poussé et évident (appuyé par trop de musique). Dommage car quelque chose fonctionne dans le contraste entre les deux univers (le notre et le post apocalyptique). La fin reste dans cette dualité : pas classique, mais pas assez dérangeante. Hostile donne envie de surveiller ce que Mathieu Turi va faire par la suite.

Nantes Utopiales, jour 1A Day, autre premier film prometteur du Sud Coréen Cho Sun-ho en compétition lui aussi, propose une boucle temporelle qui est un véritable enfer. Sur le modèle d’Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993) l’histoire va explorer les diverses possibilités qu’offre le laps de temps qui se répète. Le spectateur en apprend beaucoup sur la vie des protagonistes (un chirurgien de renom, un chauffeur de taxi et un conducteur d’ambulance) et ce qui semblait simple au début se complique au fil des répétitions. Très bien réalisé avec des effets et quelques scènes de haut vol, le film souffre cependant d’une fin trop appuyée et chargée en pathos.

Des débats et conférences

Utopiales Nantes, Jour 1Dans l’Agora, à 11h en ce premier jour d’Utopiales environ 150 personnes manifestaient leur intérêt pour la question d’un monde sans Internet. C’est vrai ça, quoi, on fera comment demain pour annoncer une naissance, donner un rendez-vous, regarder un lolcat… sans Internet ?
David Calvo mène la discussion – un peu décousue – et revient sur les débuts d’Internet, le réseau militaire, l’arrivée de Myspace, l’outil de communication bon pour l’ego et pour vendre des livres, puis les réseaux sociaux tels que nous les connaissons aujourd’hui.
« On a accueilli avec bonheur le réseau social en sachant que ça nous détruirait. On est passés d’un monde qu’on faisait ensemble à un monde qu’on défaisait ensemble. »
Que représente un monde sans Internet ? Revenir à un réseau militaire, fermé, comme avant ? Seuls les corporations et le gouvernement, le posséderaient ? Mais le monde de demain, sans Internet, ne sera jamais celui d’avant : les algorithmes ont laissé leur empreinte sur nous. Les hackers existent et perturberont toujours toute volonté d’ordre. Tout le monde s’entend aujourd’hui à reconnaître que les réseaux sociaux créent une anxiété, une dépression face à la fragmentation du monde : ils montrent tout ce qui va bien dans la vie des gens.
« Il y a une difficulté pour des ados à fonctionner dans le réel en fonction de l’image qu’ils ont du réel à travers un fil. »
David Calvo précise qu’en tant qu’auteur il aime montrer comment les choses peuvent bien tourner : il ne fait pas de la dystopie. Pour lui l’idée importante, le fait majeur, c’est de conserver les liens humains. Et c’est maintenant qu’il faut réfléchir à ça, car le réseau social est tout de même omniprésent. Ce que beaucoup souhaitent, au fond, c’est la sécurité qu’offre le fait « de faire partie de quelque chose de plus grand que soi ».
La fragmentation est aujourd’hui vendue comme un malheur, au moment où l’unité fait loi jusqu’en Espagne. Non au communautarisme. Mais qui demande ça ? Tous ensemble, pour quoi ? En marche, pour qui ? Qui détient les moyens de production d’Internet ? Il faut avoir une lecture politique. Dans ces discours, Internet devient le réseau social, « du PQ ». C’est un système en creux, totalitaire, dominé par des corporations et les gouvernements.
Comment fonctionner ensemble alors que nous sommes séparés les uns des autres ? C’est le lien, hors réseau social, hors piège de l’assistanat de l’esprit critique (jusque dans le GPS), qu’il faut consolider.
Il ne reste plus qu’un quart d’heure avec la fin de cette Agora, le public prend la main. L’intérêt pour ces réflexions se sent à travers les prises de paroles : avons-nous besoin d’aller vite ? Facebook n’est-il qu’un outil mal utilisé par l’humain, ou un outil de merde calibré et utilisé par des cons ? Comment faire circuler l’info sans Internet ? Ne circulait-elle pas également il y a 30 ans ?
Il aurait bien fallu une heure de plus, après cette mise en bouche…
Emeric Cloche et Caroline de Benedetti