Comme le rappelle Gwenaëlle Le Dreff la présidente de l’Université Permanente il fallait affronter la pluie et le vent et traverser les ponts nantais pour venir écouter Anne Rambach, Pascal Dessaint et Fabrice Nicolino aborder la question « Le travail c’est la santé ? » à l’amphithéâtre Kernéis ; un débat animé par Philippe Burban pour le festival Entre Chien et Loup.
Ça aurait pût être une pièce de théâtre.
À la question peut-on utiliser la fiction pour aborder un problème aussi grave que l’amiante ?, Anne Rambach précise que la forme est moins décisive que le fond du projet, son livre Ravages aurait pu être une pièce de théâtre. Le premier travail consiste à s’assurer de ce que l’on va raconter. Elle s’est documentée plusieurs années avant de commencer à écrire. Anne Rambach rappelle que de nombreuses familles sont touchées par l’amiante, elle a donc conscience qu’elle va être lue par des gens qui ont vécu et qui vivent cette histoire-là : « C’est un poids très particulier dans l’écriture ». La réalité est là : des gens – médecins, politiques, industriels… -connaissaient la dangerosité de ce produit et se sont organisés pour que l’on continue à l’utiliser en sachant qu’il allait y avoir beaucoup de morts. Diane, l’héroïne du livre, suit quasiment chronologiquement les découvertes qu’Anne Rambach a faites durant son enquête, un enchaînement accablant de responsabilités et de travail de communication et de contre information qui mènent à la mort de centaine de milliers de personnes, en France. Même si son héroïne a quelque chose d’une super héros, la recension des faits évoqués dans le roman est complète et précise et Anne Rambach évoque le fait que Rivages soit le seul éditeur qui a accepté de publier le roman malgré les risques de procès.
L’enquête de terrain, finalement, je l’ai jouée sur l’émotion, parce que je suis de ce pays, j’ai beaucoup vécu dans la proximité de cette usine, j’étais impliqué de manière familiale.
Pascal Dessaint rappelle qu’à l’heure actuelle un scandale en remplace un autre. Celui dont il parle dans son livre concerne Metaleurop, sa fermeture, son démantèlement et l’empoisonnement au plomb. Le livre aborde trois drames liés au travail : un drame social (fermeture des usines et des chantiers), un drame sanitaire (maladies, cancers…) et un drame environnemental (on parlera même d’un Tchernobyl minier). Il aborde les mécanismes à l’oeuvre, comment on cache la maladie, comment on est prêt à sacrifier sa santé au travail. Pour ce faire il adopte le point de vue du romancier, il aspire à l’universalité et espère toucher les gens au-delà de l’endroit qu’il est en train de décrire. Il précise que le romancier, l’écrivain de roman noir, a aussi une mission de divertissment en même temps qu’il aborde des sujets graves.
La bataille sociale et politique autour de ces questions de santé, et notamment de santé au travail, se heurte à une organisation extrêmement savante des intérêts industriels.
Fabrice Nicolino a écrit plusieurs livres sur la crise écologique, l’agriculture, les pesticides, la chimie de synthèse, la viande… Si Anne Rambach et Pascal Dessaint parlaient en tant que romanciers, Fabrice Nicolino parle en temps que journaliste. Il vient appuyer le propos d’Anne Rambach et rappelle comment au sortir de la deuxième guerre mondiale tout l’arc politique est d’accord sur l’idée qu’il faut être moderne, qu’il faut reconstruire la France et que l’on peut s’appuyer sur la machine industrielle et la chimie pour produire massivement afin d’améliorer la situation. Il cite en exemple le DDT qui était présenté comme un produit miracle qui luttait contre de nombreux ravageurs de récoltes avant d’être interdit à cause de sa nocivité.
Sur le fond leurs constats sont les mêmes : des personnes savent qu’ils mettent la vie des travailleurs (et des consommateurs) en danger et ils développent des stratégies afin de camoufler les effets néfastes et mortels de leurs affaires (amiante, pesticides et chimie de synthèse…). Pas étonnant dans ce cas que les littératures policières et criminelles s’emparent du sujet.
Emeric Cloche.