Ravissantes, elles le sont toutes, blondes ou brunes, blanches ou noires, mais toutes nécessairement « fines, grandes, élancées », forcément « élégantes » lorsqu’elles défilent sur les podiums. En attendant d’y monter, Ilona Kowalsk, « 22 ans, 1,80m, 56 kilos, 84- 59- 86 » court les castings où les candidates au mannequinat sont traitées « comme du bétail ». Une course épuisante, douloureuse et humiliante, ne laissant aucune place à la recherche de plaisirs compensatoires, si ce n’est avant de s’endormir quelques pages de Michel Foucault (L’herméneutique du sujet) ou de Fred Veloce (Détresse en Birmanie)1
Ravissante, elle ne l’est guère – du moins selon les critères des magazines féminins : 1, 60m, 80 kilos, 110-80-120, Lucie Chanterelle n’a rien d’une gravure de mode, mais « le désir n’est pas affaire de mensurations » et le carnet de chasse de Lucie est bien rempli : « Lucie n’est pas une tombeuse, c’est un cimetière ». C’est aussi la seule amie et l’agent d’ Ilona.
Ravissant, Pierre Barbier ? Pas vraiment, mais pourtant son carnet de commandes est plein et ce qu’il vend c’est son corps, pas dehors, chez lui : chaque cliente satisfaite lui envoie des amies. Son succès n’a rien à voir avec d’extravagantes prouesses sexuelles. Il aime vraiment son boulot. « Il ne juge pas. Il voit de la beauté et du charme là où les imbéciles ne voient rien. » On pense à certaines scènes d’American Gigolo (Paul Shrader) et d’Apprenti Gigolo (Fading Gigolo, John Turturo) pour la tendresse et l’humour. Mais ce n’est pas un gigolo, juste un prostitué, nanti d’une maquerelle. Au fait, c’ est quoi le masculin de pute ?
On ne vous en racontera pas davantage pour ne pas dévoiler une intrigue caracolante. Disons simplement qu’après avoir montré qu’il savait écrire un (bon) western, un (étonnant) roman d’anticipation, un (magnifique) roman noir, Nicolas Jaillet vient d’’inventer un nouveau genre littéraire : la comédie dont les ressorts comiques reposent – comme chez Molière – sur des situations loufoques, des gestes équivoques, des mots détournés. Une trouvaille parmi d’autres, le nom d’un petit chien, insupportable roquet : « Michelhouellebecq » dont la maîtresse, grande prêtresse de la mode s’appelle Golda Marx ! La satire porte essentiellement sur ce monde-là : portrait féroce du créateur Zlotan Marvelis dont le nom connote un merveilleux (Marvelis/ Maravilloso) monde doré (Zlotan/Zlatan = « Doré »). Mais contrairement à l’alchimie artistique qui transforme la boue en or, la mode fait l’inverse : démonstration dans l’aberrant et hilarant défilé final ! On aimerait bien que Nicolas Jaillet persiste dans cette veine inédite sous nos climats, mais fertile au pays des alligators (Carl Hiaasen, par exemple).
Jocelyne Hubert
Nicolas Jaillet, Ravissantes, Bragelonne/Milady, 2018, 285 p.