Encore un premier roman remarquable dans la collection Rouergue Noir. Dès les premiers mots, la pluie et la grisaille suintent des pages. L’écriture de l’auteur sent les bourrasques salées, le décor est planté. Brest, ville rugueuse, tempéraments à l’avenant. Les marins s’entraident autant qu’ils se querellent. On y découvre Brieuc le taxi-bateau, et Caroff marin pénitent.
Le grain de sable indispensable au polar prend la forme de barons de la drogue, décidés à faire passer leur trafic par Brest. En guise d’intermédiaires ils missionnent deux petites racailles locales. Le costume est trop grand pour eux. Le sel vient de la rencontre entre ces jeunes et Caroff. Bien sûr le décalage est immense entre ceux qui se voient caïds, et l’assurance, la carrure, d’un Caroff imperturbable. On a de l’empathie pour ces jeunes grandis dans le béton, horizon gris malgré la vie en bord de mer. Monter sur un bateau leur est aussi exceptionnel que peut l’être pour quiconque l’idée de partir en voyage spatial. Le récit se fait initiatique et tendre.
Ce sont des histoires d’oubli et de rédemption, des trajectoires, une vie que chacun imaginait différente, sous un ciel un peu plus clément à défaut d’être bleu. Il n’est jamais trop tard pour choisir son chemin, mais les éléments ne vous laissent pas toujours faire. Qu’on soit malade, touché par la grâce ou percuté par l’amour. Ronan Gouézec nous mène de Caroff à Brieuc, et les relations humaines forment son sujet. Il y excelle, plus que dans une construction parfois maladroite, avec une fin d’un style ultra-violent assez peu raccord avec le reste. Mais à coup sûr le prochain roman de Ronan Gouézec est à suivre, le vent et la mer vont continuer de sculpter son univers.
Ronan Gouézec, Rade amère, 2018, Rouergue Noir, 18,50 €, 208 p.