« Pas assez de force d’âme pour me ranger du côté des héros. Trop de nonchalance et de distraction pour faire un vrai salaud. Par contre, de la souplesse, le goût du mouvement et une évidente gentillesse. »
Slow-fox, tango, rumba… La ronde de nuit s’ouvre sur la danse, la musique et un interrogatoire. Valse créole, Wolfgang Amadeus Mozart, czardas, fox-trot, marche militaire, chansons… c’est l’histoire d’un traître, qui travaille à la fois pour la Gestapo et pour un réseau de la résistance française. La musique sera présente tout au long du livre. Dès le début les protagonistes réclament de la musique, chantonnent. Ils jouent à des jeux qui sont autant de métaphores de la fuite, de la poursuite, des tentatives de se cacher ; l’horreur surgit au détour d’une danse ou d’une partie de colin-maillard.
Plus loin dans l’hôtel particulier qui sert de QG vous croiserez un peu de magie et de ce mysticisme cher aux nazis. À l’étage les mondanités, la nourriture, la musique, l’alcool, les œuvres d’art, la distribution des médailles et des bonnes places. À la cave – d’où montent des cris et des sanglots – la torture.
Tout le livre est enveloppé d’une sorte de brume, on y avance un peu comme dans un cauchemar ; une ambiance à la fois désuète, feutrée et inquiétante. En plus d’un traître, n’est-ce pas là l’histoire d’un lâche qui tente de survivre ?
Il y a beaucoup à dire sur ce livre, une promenade dans l’Histoire et dans la tête d’un anti héros qui essaie de s’en sortir moralement tout en sachant que cela est vain. Plusieurs thématiques sont abordées, comme celle du temps qui passe et qui enlève de la gravité aux événements ; à un moment le traître se perd dans des scènes passées auxquelles il n’a pas assisté, alors que l’on torture un résistant.
On ressort de cette lecture avec des bribes et des fulgurances, un peu comme après l’écoute de Desolation Raw de Bob Dylan.
Emeric Cloche
Patrick Modiano, La ronde de nuit, Gallimard,1969, 153 pages, 5,50 Euros.