Salle comble. C’est une habitude aux Utopiales, dès le premier jour, dès la première heure, la Cité des Congrès se remplit.
Après la leçon inaugurale de Roland Lehoucq sur la téléportation, la scène Shayol laisse la place à une relecture de Frankenstein (1818, Mary Shelley) à l’aune de Marx. Jeanne A. Debats, Aymeric Seassau, Xavier Mauméjean et Patrick K. Dewdney sont soumis à la question par Yann Olivier. Nous reprenons ici leurs propos.
Frankenstein vs Marx
Mary Shelley a pratiquement créé le genre pour 250 ans, en introduisant la rationalité dans le récit. Stephen King disait d’elle que c’était un génie femme, de son temps, un génie qui ne pouvait pas donner sa pleine mesure du fait des contraintes de son époque. Frankenstein peut aussi se voir comme l’expression du refus du rôle assigné à la femme et une contestation des dieux, quand on sait qu’en 1815 Mary Shelley perd son enfant prématuré de deux mois.
Frankenstein incarne-t-il la vision du corps parfait du travailleur ? Effectivement, le travailleur n’est pas beau et pas heureux. Le plaisir est refusé au monstre. Il incarne la vision du possédant sur le possédé. Mais le monstre s’émancipe très vite, il refuse le désespoir. Dans les représentations du 19e le travailleur est alcoolique, il est moche. Plus récemment, on peut penser à une remarque sur les « sans-dents » qui incarne elle aussi la vision du prolétaire par la classe dominante. Au cinéma, on assiste de la même façon à une sur-représentation des catégories supérieures. Il faut aussi penser au personnage de Justine dans Frankenstein, ajoute Xavier Mauméjean, la domestique condamnée à mort est elle aussi une vie perdue.
Le monstre incarne ce que le possédant a besoin que le possédé soit. Un parallèle peut s’établir avec ce que la femme doit être, et avec la construction du corps des femmes pour le plaisir des hommes. Patrick K. Dewdney voit dans le monstre une possible métaphore du système administratif engendré par l’État, système qui est aussi voulu par les communistes. Aymeric Seasseau remarque alors que « Marx fournit son lot de monstres du docteur Frankenstein » avant de noter qu’une mise en perspective politique nous rappelle que toute révolution a sa contre-révolution.
La liberté a aussi sa place dans le roman. Victor Frankenstein n’est pas pourvu de la conscience bourgeoise, il est viré de l’Université, rejette la religion et refuse le mariage qui l’attend. Il est le premier à remettre en cause les institutions. Il n’est pas l’archétype bourgeois, peut-être incarne-t-il plutôt l’ultra-individualiste.
Le roman pose bien sûr des questions morales, et Frankenstein questionne la vision idéale du retour à l’état de nature. Mais la conclusion de Frankenstein n’est pas à chercher dans la préservation de cet état de nature. Le monstre est naturellement bon, ou tout du moins neutre comme le fait remarquer Yann Olivier en renvoyant à Rousseau. C’est quand il est rejeté par les hommes qu’il devient problématique. Son comportement met en perspective l’altérité, l’empathie et l’aliénation.
Au cours de la discussion le roman de John Scalzi, Les brigades fantômes, est cité par Jeanne A. Debats.
Courts-métrages
Papillopastie (2018, David Barlow-Krelina) plonge dans un univers de blanc hospitalier, chirurgical et plein de chaires de synthèse, plastique. Des images réussies bien que le tout soit un peu trop clipesque. L’Auxiliaire (2018, Frédéric Plasmn) parle des dangers du téléphone portable (comprendre, à ce niveau de technologie, de l’intelligence artificielle) de manière sobre. Mais tout comme The Remplacement (2018, Sean Miller), très bien réalisé au demeurant, cela reste très classique dans la morale de l’histoire. Space Flower (2018, Pam Covington) critique lui aussi les évolutions de l’Intelligence artificielle (comprendre ici les robots avec lesquels on peut se marier) avec une belle histoire qui change la morale ; le tout est sobre, bien joué et bien filmé. Edge of Alchemy (Stacey Steers, USA) propose des dessins du XIXe siècle fort judicieusement mélangés à des extraits de films des années 10, 20 et 30 est un peu longuet et légèrement obscur. Dommage, le choix esthétique est de toute beauté. Le court métrage lituanien Laura et Veneta (2017, Roberts Kulenko) propose une satyre sur l’arrivée des extra-terrestres en se focalisant sur un champ de patates. C’est à la fois jubilatoire, décontracté et tendre. Si cette première session propose un service minimum largement assuré on en ressort avec un petit manque. Vivement la deuxième.
La place du corps dans les jeux
Compétition : Frontier (Dmitry Tyurin)
Caroline de Benedetti (Frankenstein Vs Marx),
Emeric Cloche (Courts-métrages session 1)
Justine Vaillant (La place du jeu et Frontier)