John Scalzi, devenu millionnaire après avoir signé un contrat de 3.5 millions $ en mai 2015 pour 13 romans, est l’auteur de science-fiction à suivre pour deux raisons : il bouscule les codes tout en restant drôle et touchant, en témoigne son œuvre phare Le Vieil homme et la Guerre. En 2011, il réécrit le roman Little Fuzzy (1964) de l’auteur H. Beam Piper, dont il est fan, car l’idée de faire un reboot littéraire lui plaît bien. En a résulté La Controverse de Zara XXIII, un petit bijou sans prétention.
Dans un futur où la conquête spatiale est en plein essor, une compagnie d’exploitation de ressources minières nommée Zarathoustra (ça commence bien) se pose sur une nouvelle planète, sobrement baptisée Zara XXIII. Ne percevant aucune espèce « intelligente » à même de réclamer une souveraineté territoriale et commerciale, un pillage légal s’organise. Nous suivons alors in medias res un certain Jack Holloway, prospecteur « indépendant » fauché en fin de contrat, dynamiter une montagne avec son fidèle chien Carl et découvrir, enfin !, un incroyable filon de pierres précieuses pouvant faire de lui un homme richissime. Mais le soir, en rentrant dans sa cahute, une étrange petite créature affolée s’est enfermée à l’intérieur. Et lorsqu’il décide de prendre soin d’elle, la voilà qu’elle ramène sa petite famille, au comportement bien peu bestial… Suspectant une entrave à la loi (il existe des lois qui empêchent les humains de s’emparer de planètes occupées par des espèces sensibles), Jack, ancien avocat magouilleur, devra-t-il soutenir cet étrange petit peuple, ou étouffer l’affaire et empocher l’argent ?
Cet ouvrage est pour moi une ode à la sensibilisation animale et à la critique du colonialisme et de l’ultra-libéralisme. L’histoire est marquée par un fort aspect juridique, humanitaire et écologique, en témoigne le choix de la couverture. La « controverse » occupe une grosse partie de la seconde moitié du roman, le titre français étant un judicieux rappel de la controverse de Valladolid, sombre débat (voire procès…) du 16e siècle ayant eu pour but de légitimer ou pas l’esclavage des peuples amérindiens par les Espagnols. Le traducteur a préféré mettre l’accent sur cet aspect du roman, a contrario du titre anglais Fuzzy Nation, centré sur les autochtones de Zara XXIII.
En science-fiction, il n’est pas rare de voir le protagoniste accompagné de son chien, ou encore d’aborder le thème des colonisations spatiales. Pourtant, John Scalzi a réussi à apporter à ces deux topoi une certaine profondeur. Ainsi, bien que Carl suscite la compassion des gens autour de son maître (manager, ex-copine biologiste, etc.) -lequel en a bien besoin, sa présence permet régulièrement de marquer la comparaison entre le comportement canin et celui du petit peuple duveteux de Zara XXIII et donc sert adroitement de rappel entre « l’animal » et « l’indigène ». De même, l’auteur accentue la profondeur de l’univers grâce à l’intérêt de l’ex-petite-amie biologiste, Isabelle, pour la faune de la planète, ce qui permet d’instruire à la fois Jack et le lecteur, mais également d’apporter un éclairage extérieur sur le passé du héros.
Au final, gros coup de cœur pour ce roman : une petite merveille divertissante et idéologique, avec un héros peu commun aux talents polyvalents et à la personnalité affirmée (couplée d’un humour pince-sans-rire) ; les réactions antipathiques qu’elle peut générer sont d’ailleurs très drôles. Les dialogues sont dynamiques et percutants, un vrai bonheur à lire. Le passé d’avocat de Jack va beaucoup lui servir, ça me donnerait presque envie de faire du droit, c’est dire ! Je reproche seulement des explications ou événements qui tombent trop souvent à point nommé, mais les retournements de situation restent satisfaisants à découvrir tout de même.
Autre titre de cet auteur : Les enfermés, Le vieil homme et la guerre, Les brigades fantômes
Manon Tardy
John Scalzi, La controverse de Zara XXIII, L’Atalante, 2018, traduit de l’américain par Raphaël Defossez, 19,90 €, 320 p.
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