« « Pourquoi font-ils cela ? » s’indigna Mme Yang.
Les voies de l’État étaient impénétrables, mais nul ne trouva sa question déplacée. Ses mots reflétaient le sentiment d’injustice qui se répandait sur les quais. Moon songea : Moi, je sais pourquoi ils font ça. Parce que le commerce représente ce qu’ils détestent : la liberté. Elle baissa les yeux sur son giron. »
La Corée du Nord est un pays qui génère beaucoup de fantasmes liés à son statut de pays fermé et de dynastie communiste. Il incarne rapidement le mal absolu et la folie. Mettons-nous d’accord d’emblée : le livre de D. B. John place catégoriquement le pays dans le camp du mal, et les États-Unis d’Amérique comme champions de la liberté et de la démocratie (donc du bien). En Corée du Nord tout va mal, aux États-Unis tout est attirant. Si la pauvreté est longuement représentée dans le camp des méchants, elle n’apparaît dans aucune scène quand les protagonistes sont aux USA. On a souvent l’impression de se retrouver dans un film américain datant de la guerre froide, quand tout est froid et gris à l’Est et coloré et vivant à l’Ouest. On n’échappe pas non plus au super personnage de super nouvelle espionne qui a des idées et trouve des solutions auxquelles les vieux de la vieille (les espions qui ont de la bouteille) n’avaient pas songé. C’est le côté James Bond de ce roman d’espionnage. Une fois ces écueils acceptés, le fait est que le bouquin se lit très bien. On en apprend sur la Corée du Nord, sa politique intérieure et son jeu sur le plan international. On doute par moments de la folie de ce que l’on est en train de lire ; il suffit alors de se rappeler la bande dessinée de Guy Delisle (Pyongyang) ou l’épisode de la série Streap Tease, qui suit une délégation de députés belges en visite en Corée du Nord pour se dire que oui, décidément, ce pays refermé sur lui-même ressemble à une autre planète, lointaine et angoissante. Le roman est par ailleurs traversé par un parallèle étrange (est-il voulu ?) entre la religion chrétienne (dont la pratique est sévèrement réprimandée par l’État) et l’image du leader omniprésent (presque omniscient) qui a quelque chose de christique. L’Étoile du Nord résonne avec les récents échanges entre Donald Trump et Kim Jong-un.
Il n’existe plus de collection d’espionnage aujourd’hui, mais ce livre, malgré ses défauts, trouvera sa place auprès des romans de Guy-Philippe Goldstein (7 jours avant la nuit) ou des œuvres de DOA. D.B. John est britannique comme John Le Carré, mais son style et sa narration penchent clairement du côté du thriller. Certaines ambiances rappelleront la trilogie Nord Coréenne de Jean-Luc Bizien.
Dans un article pour Deadgoodbooks l’auteur livre ses 5 livres d’espionnage préférés : The spies of Warsaw d’Alan Furst (non traduit en français), La vie aux aguets de William Boyd, L’espion qui venait du froid de John le Carré, Blowing my cover de Lindsay Moran (non traduit en français) et Russie État Mafia de Luke Harding.
Emeric Cloche
D.B. John, L’Étoile du Nord, traduit de l’anglais par Antoine Chainas, Les Arènes/Equinox, 2019, 611 pages, 22 €