On peut s’accorder à dire que tout bon roman ne se contente pas de suivre les codes prédéfinis par le genre auquel il appartient mais s’attache à y greffer quelque chose de nouveau. Les romans d’enquête n’échappent pas à la règle et le nouveau roman d’Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, paru aux éditions Liana Levi en est l’illustration.
Le synopsis est simple : Calcutta 1919. Le capitaine Wyndham débarque aux Indes britanniques après avoir quitté la pluie londonienne et Scotland Yard en espérant laisser au pays son spleen entretenu par les souvenirs d’une guerre sanglante et, du même coup, ses addictions. C’était sans compter Calcutta, sa chaleur accablante et la foule bigarrée qui y évolue plus ou moins aisément « comme si Dieu lui-même, dans un mouvement d’humeur, avait choisi dans la nature tout ce qui était abominable pour un Anglais et l’avait installé dans cet endroit maudit ». S’y ajoute le meurtre d’un haut fonctionnaire de l’administration coloniale dont le corps est retrouvé dans la ruelle d’un quartier peu fréquentable. Dans la bouche du mort, un message en bengali : « Dernier avertissement. Le sang coulera dans les rues. Quittez l’Inde ». Wyndham est assisté dans son enquête par deux figures antagonistes. D’un côté, l’inspecteur-adjoint Digby, un anglais ouvertement raciste à l’image de la société britannique des Indes, de l’autre, le brillant mais humble sergent Banerjee, un indien éduqué à Cambridge qui subit sa position « d’entre-deux ».
Alors que le contexte historique et social aurait pu être réduit à une toile de fond, il est propulsé au même rang que cette dernière dans laquelle il fait office tantôt de preuve, tantôt d’alibi ou de mobile. Tandis que son officier mène l’enquête, l’auteur en profite pour développer une véritable réflexion sur la colonisation et ses outils. Tout passe sous le regard (et la langue) acérés d’Abir Mukherjee, de la mise en place du principe de supériorité morale au prétexte de la christianisation. L’idéologie coloniale britannique est démontée à grands coups de traits d’humour aiguisés.
« Alors que la couleur de peau d’un homme ne devrait avoir aucune incidence sur l’affaire, la réalité est qu’elle en a le plus souvent […]. »
Dans ce premier volet d’une série qui s’annonce très prometteuse, Abir Mukherjee questionne les idées et les convictions de ses personnages sans tomber dans le manichéisme ou le cliché. Ici pas de prise de conscience révélatrice, de pathos, ou de recherche de rédemption (ouf !) mais bien la volonté de faire la lumière sur une enquête et, du même coup, éclairer les fondements d’un système de pensée.
Meï-Li Bellemare
Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, traduit par Fanchita Gonzalez Batlle, Liana Levi, 2019, 400 p., 21,00 euros