Avant de replonger dans ce texte explosif, publié en 1982 (Albin Michel/Sanguine) sous le nom de Ramon Mercader (l’assassin de Trotsky, télécommandé par Staline) un rapide examen du paratexte s’impose.
D’abord l’éditeur : Sanguine, l’éphémère collection créée par Patrick Mosconi, éditée par Phot’œil (Alain Fleig) puis par Albin Michel après la faillite de Phot’œil. Quatre années d’existence, 17 romans noirs – celui de Mercader est le 14e – et la découverte de Fajardie, Raynal, Pouy… excusez du peu !
L’auteur : Thierry Jonquet a déjà publié chez Sanguine, la même année, sous son nom, son premier polar Mémoire en cage, terrible histoire de vengeance, nourrie de son expérience hospitalière. Sous le nom de Ramon Mercader, il publie 2 autres romans, aux titres… « suggestifs » : Cours moins vite camarade, le vieux monde est devant toi ! (1984) et URSS go home (1985). Vous voyez le genre du bonhomme !
Le titre : chacun y reconnaît une citation de l’Internationale, texte d’Eugène Pottier, d’inspiration communarde, devenu – entre autres – l’hymne de la république socialiste fédérative soviétique de Russie. Sûr que cette injonction résonne différemment dans le contexte de la Commune de Paris et celui du communisme soviétique pour lequel, « oublier », pourrait bien être synonyme de « mentir ».
Les repères spatio temporels : 1972, le roman débute par une série d’assassinats de personnes sans liens apparents, en Allemagne, en France et au Chili.
1935 : début de la biographie d’un certain René Castel, dont on suit la carrière professionnelle et politique jusqu’à sa nomination au poste de secrétaire général d’un parti, jamais nommé, mais facilement identifiable, qu’on avait coutume de surnommer « le parti des fusillés ». Où se trouvait donc Castel en 42 ? 43 ? Qu’y faisait-il ? Si vous savez qui était secrétaire général du PCF français en 1972, vous aurez bien une petite idée…
1978 : récit d’un affrontement meurtrier entre barbouzes moscovites et barbouzes français pendant que se préparent les élections présidentielles qui verront l’arrivée au pouvoir d’une certaine « Union de la gauche » créée en 1972.
1998 : la postface d’Hervé Delouche pour la réédition par Actes Sud (Babel noir) du roman de Thierry Jonquet commence par un extrait de la chronique que lui consacra Manchette à sa sortie et qui nous servira de conclusion (on n’emprunte qu’aux riches !)
« Dans Du passé faisons table rase, publié chez Sanguine sous le nom jusqu’ici infâme de « Ramon Mercader », les anecdotes politico-criminelles sont le point de départ d’une peinture de milieu très inouïe, qui prend pour cible le PCF et qui le canarde avec une férocité sauvage étonnante. (…) La dynamite est dans le sujet, dans la sauvagerie vengeresse du documentaire. Et ainsi, même sur l’insignifiant terrain du polar, les staliniens récoltent ce qu’ils avaient enterrés : l’agit-prop dévastratrice, et ce pseudonyme qui fut peut-être le vrai nom de leur plus célèbre assassin. »
Thierry Jonquet est mort en 2009 (voir Verdict de son dernier livre posthume dans L’Indic n°16). Un an après Fajardie. Et puis, il y eut Jean François Vilar (2014) et Jean Vautrin, Francisco Gonzales Ledesma et Hafed Benotman (2015).
« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants ». On va finir par manquer de place ! Alors prenez soin de vous, jeunes gens !
Jocelyne Hubert
Thierry Jonquet, Du passé faisons table rase, Babel Noir, 1998