P.O.L., éditeur de blanche s’il en est, publie les romans de Rebecca Lighieri, de son vrai nom Emmanuelle Bayamack-Tam. L’autrice explique : « Quand j’écris un Lighieri, il y a un homicide au centre du texte, et je sais d’avance ce que je veux raconter« . Son propos illustre bien la question des étiquettes en littérature. Husbands se classe dans la catégorie thriller. D’ailleurs, en format poche le roman se trouve chez Folio policier.
Husbands fonctionne en chapitres alternés, pour trois voix à la première personne. Laurent, Reynald et Farouk dévoilent leurs problèmes conjugaux réels ou supposés. Laurent cache son statut de chômeur à sa femme bigote, Reynald ne bande plus et gère difficilement sa jeune starlette d’épouse, et Farouk découvre le secret de sa femme.
« Mes discours méprisants et sarcastiques à son égard n’étaient qu’une posture, une attitude de défense dictée par la vanité, le désir éperdu et vain de ne pas être vulnérable, à la merci d’une fille de vingt-quatre ans qui n’a jamais lu A la recherche du temps perdu, et qui ne sait pas encore que notre plus grande histoire d’amour, nous pouvons l’avoir pour quelqu’un qui n’est pas notre genre. »
Mis à nus, les trois hommes apparaissent pathétiques et attendrissants. Mais aussi rarement décrits de cette façon. Dans un suspense psychologique, le rôle incarné par ces hommes échoue d’habitude à la femme. Le décalage est appréciable et subtil. Ils livrent leurs souffrances, leurs craintes et leurs failles. En creux, se devine le portrait des épouses et des familles. Les positions sociales des uns et des autres ont leur rôle à jouer. L’ensemble a un parfum de Patricia Highsmith, pas la pire des références. Mais petit à petit, le coup de foudre amical laisse place à la menace.
Quand le crime éclate, Husbands bascule du suspense psychologique dans le thriller. La référence est d’ailleurs clairement revendiquée par la voix des personnages et se ressent dans l’écriture. « Et quand je signe Lighieri, même si mes exigences ne sont pas moindres, la phrase est peut être moins acrobatique, plus directe » continue d’expliquer l’autrice sur le site de son éditeur. Cette partie rompt avec ce qui précédait, poussant le trait plus loin dans la violence et certaines facilités scénaristiques. Ce qui tempère l’enthousiasme ressenti à la première moitié du roman. Reste l’envie de continuer à découvrir les romans de Rebecca Lighieri, pour vérifier si l’idée d’une proximité avec l’américaine Laura Kasischke tient la route.
Caroline de Benedetti
Rebecca Lighieri, Husbands, P.O.L., 2013, 448 p., 18 euros