C’est avec élégance (graphique) et perspicacité (littéraire) que les éditions Matin Calme ont entrepris de faire découvrir au lecteur français l’originalité du polar coréen avec leur collection WHODUNIT. La dernière pépite, Mortel Motel de Do Jinki, est le deuxième volume d’une série de romans à énigme dont le héros récurrent est l’avocat Gogin, ami et assistant du policier Lee Yuhyeon : « Depuis, Gogin agit dans l’ombre de la loi un peu comme un loup ayant quitté sa meute. »
Il semblerait que ce qui s’est produit il y a une vingtaine d’années avec le cinéma coréen soit en train de se reproduire dans la littérature : une maitrise technique impressionnante, une parfaite connaissance des codes de genre et juste ce qu’il faut de distance ironique pour éviter les clichés. Ajoutons-y, dans la littérature comme au cinéma, des personnages hors du commun, non par exotisme géographique mais par réelle originalité psychologique, que les auteurs s’amusent à souligner en les comparant à certains de leurs homologues occidentaux : Holmes, Poirot, Maigret Columbo…
Qui a tué Cheon Na-yeong, l’épouse du célèbre chirurgien Tae Jeong-u, amant de la femme de Kil Yeong-in (disparue depuis un an) ? Apparemment le mari chirurgien lui-même puisqu’ils partageaient la même chambre de motel dans laquelle on a retrouvé le cadavre… mais pas l’assassin ! Se pourrait-il que le mari trompé ait choisi de se venger de la trahison et de la disparition de sa femme en tuant la femme de son rival ? Mais pourquoi l’épouse, et pas le rival lui-même ? De toutes façons, lui, Kil Yeon-in, personne ne l’a vu au motel alors que plusieurs témoins ont vu et plus ou moins « deviné » ce qui se passait dans la chambre, lieu du crime !
Classique affaire de meurtre en chambre close ? Pas vraiment ! et on s’en voudrait de divulgacher une enquête riche en rebondissements, de plus en plus sanglants, de plus en plus étonnants, jusqu’à un dénouement grandguignolesque, mais malgré tout cohérent.
On craint au début de se perdre dans les sinuosités d’une intrigue où s’entrecroisent des personnages aux noms compliqués pour un occidental. Leur liste en fin d’ouvrage permet d’aplanir cette difficulté. La structure narrative permet également de suivre les évolutions de l’enquête, grâce aux rencontres entre les deux enquêteurs dont les dialogues permettent de ne jamais perdre le fil. Sont intercalés dans ces chapitres de narration « externe », où apparaissent tous les personnages de l’intrigue, des extraits du journal intime de l’insaisissable Kil Yeon-in, candidat au « suicide mental » (proposé par l’inquiétant Dr Yi Tak-o) pour tenter d’effacer le sentiment de perte qui le ravage depuis la disparition de sa femme. C’est lui qui ouvre le récit :
« Le chemin du retour à la maison est aussi désespérant qu’une marche funèbre. Aucun signe de présence humaine ni le moindre chant d’insecte. Les plantes semblent les seuls êtres vivants. J’habite dans une maison isolée de tout comme un cerf-volant qui s’est envolé, coupé de son fil. »
On est assez loin de l’ambiance Columbo, n’est-ce pas ? Plus proche de celle de La maison où je suis mort autrefois du maître japonais Keigo Higashino.
Incontestablement, un auteur à suivre, et d’abord à découvrir avec la première enquête de l’avocat Gogin : Le portrait de la Traviata.
Jocelyne Hubert
Do Jinki, Mortel Motel, traduit du coréen par Lim Yeong-hee & Mathilde Colo pour les Editions Matin Calme (2022). 368 pages – 20, 90 €