Si l’on me demandait à quel sous-genre de fantasy appartient l’œuvre de Jo Walton, j’inclinerais pour une présentation d’une forme de fantasy « de la bascule ». C’est-à-dire une forme de merveilleux directement rattaché à notre monde. Un moyen de permettre au lecteur de suspendre son incrédulité progressivement, en suivant les protagonistes du récit lors de leur voyage au travers de l’étrange. Dans la lignée des contes anglophones du XIXe et XXe, lorsqu’Alice bascule dans le terrier du lapin la menant au pays des merveilles, ou quand les enfants Darling suivent Peter Pan au pays imaginaire. Le personnage principal devient le vecteur qui permet au lecteur de vivre des aventures par procuration.
Tout en s’inscrivant dans cette filiation littéraire, Walton propose de franchir un cap supplémentaire, en attirant le lecteur à même la narration. Sans être un livre-jeu ou un récit réellement interactif. Une atteinte bienveillante et subtile au « quatrième mur », parfois déstabilisante, mais qui permet d’entrer pleinement dans l’atmosphère du récit.
En posant les bases d’un dialogue entre une autrice fictive et son narrateur, qui établit des apartés directement à notre destination, le roman dresse un écheveau à démêler soi-même. Le récit devient prétexte à poser des bases de réflexions sur des thèmes aussi anciens que la littérature et la philosophie. Quel est le processus d’écriture d’un roman, et plus largement l’impact de toute création artistique ? Quelle place pour les arts ? Que ferait l’humanité si la mort pouvait être évitée ? (On peut penser ici à Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir avec lequel ce roman partage aussi le thème de l’Italie renaissante). Le cadre du récit amène parfois une tonalité d’essai historique décrivant comment une ville de Florence authentique sert de matériau d’inspiration à un pendant imaginaire.
Dans ce livre, Jo Walton établit donc les fondations d’un labyrinthe où le spectateur, qui semble tout d’abord pris par la main, est rapidement laissé à ses seuls compétences pour distinguer le vrai du faux. Avec la présence d’une autrice fictive, liée à un monde « réel » qui commente parfois l’action de ses personnages fictifs lié à un une réalité historique authentique une sensation de vertige s’offre parfois au lecteur, qui à son tour, bascule pleinement dans le texte.
Comme dans un précédent ouvrage (Morwenna) Jo Walton jette ici des ponts destinés a son public et démultiplie les références tant aux classiques de la littérature anglophone (Shakespeare, Byron, Keats, Shelley etc.) qu’aux des piliers des littératures de l’imaginaire moderne (Zelazny, Lewis etc.). Si le lecteur initié peut se sentir flatté, la démarche peut toutefois être clivante. Cela n’entache en rien la compréhension ici, mais le profane pourrait se sentir à l’écart. Nous préférons le voir comme une invitation à découvrir ces plumes.
Quentin Wald
Jo Walton , Ou ce que vous voudrez, traduit de l’anglais par Florence Dolisi, Denoël, Collection Lunes d’encre, 2022, 368 pages, 23 Euros.