Dès les premières pages, L’Abîme de Nicolas Chemla nous entraîne vers ses profondeurs insondables.
Prenant d’abord le ton d’une enquête dont on connait l’issue, L’abîme s’avère cependant plus profond et mystérieux que les enjeux premiers de cette investigation. Ce qui est plutôt ironique, puisque le cadre de cette histoire, de cet abîme, est un grand immeuble Parisien s’étirant vers le ciel, et dont la façade et les appartements sont aussi étranges que leurs différents propriétaires.
Bientôt l’enquête se change en dissection, en autopsie de la vie d’un américain seul, échoué presque par hasard dans cet immeuble, au 6 ter, rue de Paradis. Ce lieu, hanté par son passé d’histoires glauques et de messes noires, vous entraîne là où le mystère et l’étrange remplacent la monotonie grise du dehors, de la réalité. Tout le monde finit par paraître étrange et suspect : du petit vieux pas très causant à l’étage du dessous, jusqu’au chat sorti de nulle part, qui s’invite dans votre appartement et y élit domicile.
Il flotte dans l’atmosphère de ce livre une peur indicible qui fascine et pousse à tourner encore et encore les pages à la recherche de sa source, à la recherche d’une réponse à toutes les questions qu’elle soulève, sans la promesse d’y parvenir avant la dernière page. On y lit aussi une violence tapie dans l’ombre. Jusqu’à ce qu’elle émerge dans toute sa sauvagerie, gore, hard et brutale, comme une présence inquiétante qui ne vous lâche pas des yeux et que vous ne parvenez pas à voir, juste à pressentir.
Cette ambiance paraît similaire à celle des œuvres de Lovecraft, auxquelles il est d’ailleurs fait allusion à de multiples reprises, aux côtés d’autres inspirations artistiques de différents domaines : peinture, littérature, autant d’ancrages dans le réel qui donnent l’impression que tout ceci se déroule bien dans notre monde et à notre époque. Ce qui déroute et effraie encore davantage.
L’Abîme est l’une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire 2023. Même si par moments son ambiance pesante et ses descriptions très parlantes d’actes gore ou sexuels n’en font pas un livre à mettre entre toutes les mains, son intrigue saura captiver ceux qui souhaitent découvrir cette chute étrange dans une faille de la réalité.
Rentrée littéraire 2023
Marie Albert
Nicolas Chemla, L’abîme, Le cherche midi, 2023, 21 €, 304 p.