Eric Corbeyran est un scénariste qui explore tous les genres, on lui doit la fameuse série Le chant des Stryges. Avec Michel Colline au dessin (il est par ailleurs le scénariste de Charbon) et Cyril Saint-Blancat à la couleur, voici Les yeux doux, un monde futuriste introduit par une citation de L’an 01 de Gébé.
La littérature s’emploie à imaginer l’avenir de l’humanité. L’an 2000, objet de nombreux fantasmes, est passé depuis déjà deux décennies. Toujours pas de voitures volantes à l’horizon. Dans Les yeux doux, l’époque n’est pas connue. Elle semble à la fois lointaine et proche de notre société. La ville qui se déploie sous nos yeux est sombre, polluée et sans horizon. Les habitants travaillent au sein de deux constructions gigantesques « L’atelier universel » et le « Panier garni ».
Les dix parties de cette bande dessinée s’ouvrent sur une citation : Oscar Wilde, Charles Bukowski, Erich Fromm, Michel Ragon, Alessandro Baricco… Autant de références qui imprègnent l’histoire, sous la meilleure forme qui soit : l’appropriation. Corbeyran rebat le thème de l’aliénation par le travail et la consommation. Ses personnages ont perdu leur emploi. En sortant tout à coup du système, ils ne portent plus sur lui le même regard. Tout est question de point de vue.
Voilà qui nous mène au titre, Les yeux doux, du nom de la société de surveillance qui renvoie la Police au rang de subalterne. Les yeux doux, euphémisme digne des « voisins vigilants ». Elle dissimule ses caméras derrière des panneaux géants sous forme de pin-ups. Ses employés zélés traquent les crimes et délits. Tout rouleau compresseur se grippe un jour, à l’image de la scène d’introduction. Annabelle, Arsène et Anatole deviennent le rouage qui menace la machine. Mais l’auteur évite toute issue naïve, choisissant de rappeler que « quand un système disparaît, un autre ne tarde pas à le remplacer… ».
Le dessin accompagne parfaitement l’imaginaire de cette histoire. Science-fiction et fantastique côtoient une forme de classicisme. Le regard s’attarde sur les rues et les bâtiments de cette ville fourmilière, où des touches de couleur surgissent parfois. Une réussite inventive.
Caroline de Benedetti
Corbeyran, Colline et Saint-Blancat, Les yeux doux, 2024, Glénat, 24 €, 184 p.