Les lectures

L’espion qui aimait les livres de John Le Carré

On avait hésité, à sa sortie, un an après la mort de son auteur, à découvrir son dernier roman, L’espion qui aimait les livres : forcément, un roman posthume, méfiance ! Et si c’était un fond de tiroir ? Un Georges Smiley de plus, sorti du placard et sentant la naphtaline ? Une pâle variation sur un thème rebattu ? Et puis la curiosité l’a emporté : peut-être que cette nouvelle histoire de traître serait à notre goût.

Elle le fut assurément. Parce que le style, vif, caustique, est sans conteste celui de l’auteur d’Un traître à notre goût et d’Un homme très recherché. Saluons au passage l’excellente adaptation qu’en fit Anton Corbijn, avec Philipp Seymour Hoffmann dans l’un de ses derniers rôles. Parce que l’intrigue, classique, du roman d’espionnage : trouver l’origine de fuites éventuelles dans un service de renseignement – est ici enrichie par le rôle qu’y tiennent un libraire et sa librairie.

Le libraire, Julian Lawndsley, vient de quitter son emploi de brillant trader (« prédateur ») à la City pour ouvrir une librairie dans une petite ville balnéaire du Suffolk, à l’Est de l’Angleterre. Il ne connait rien aux métiers du livre, et pas grand-chose à vrai dire à la littérature. Jusqu’au moment où un certain Edward Avon, châtelain de la célèbre demeure Silverview (titre original du roman), enthousiasmé par la boutique et les potentialités de sa salle au sous-sol propose au jeune libraire de l’aider dans la gestion du lieu. Pour expliquer ce geste généreux, Edward dit à Julian avoir très bien connu son père, regretter de n’avoir pu assister à ses obsèques, et se réjouir de pouvoir enfin aider le fils de son grand ami disparu. Le lecteur de roman d’espionnage, moins naïf que le jeune Julian comprend vite que les ordinateurs, entreposés dans la salle du sous-sol, ne serviront pas qu’à commander des classiques de la littérature ! Mais il n’apprendra qu’à la toute fin à quelles activités se livrait le châtelain de Silverwiew dans le sous-sol de la librairie, La République des Lettres… après avoir fait la connaissance de son entourage familial – telle son épouse, Deborah, espionne elle-aussi, atteinte d’un cancer en phase terminale – et de son entourage professionnel, tel l’imperturbable Stewart Proctor, chef de la sécurité du M16 .

« L’Espion qui aimait les livres présente une caractéristique inédite pour un roman de Le Carré, il décrit un service divisé entre plusieurs factions politiques, pas toujours bienveillant envers ceux qu’il devrait protéger, pas toujours très efficace ou attentif et en fin de compte plus très sûr d’arriver à se justifier lui-même. » Raison pour laquelle, d’après Nick Corwell, fils de John le Carré, auteur de la Postface, ce livre serait resté longtemps dans les tiroirs : pour ne pas trahir les secrets d’un service qu’il connaissait de l’intérieur et dont il montre ici le visage grimaçant et les menées criminelles, dans une fiction réjouissante.

Jocelyne Hubert

John Le Carré, L’espion qui aimait les livres, Seuil, 2021, traduit de l’anglais (Royaume Uni) par Isabelle Perrin, 240 pages, 22 € – Points poche 2024, 240 pages, 8,70 €.