par Caroline de Benedetti
Claire Duvivier
À l’occasion du festival les Utopiales à Nantes, je profite de croiser au bar de Madame Spock les auteurs de la double trilogie La tour de garde : Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian. J’ai déjà interrogé Guillaume sur son goût pour le jeu de rôle, il me fallait le point de vue de sa partenaire !
Claire, comment as-tu découvert le jeu de rôle ?
J’ai la chance d’avoir une grande sœur qui a deux ans de plus que moi, donc très proche en âge. Elle s’est passionnée pour le jeu de rôle, elle avait un livre d’initiation à Rêve de dragon, Oniros, bien fait pour les débutants. On jouait à deux, une meneuse et une joueuse. Partout où on allait, on essayait de trouver des copines pour jouer avec nous. Ça fait partie d’un ensemble de choses que je pouvais faire avec ma sœur : le jeu de rôle, les histoires qu’on se racontait, le fan art, la fan fiction…
Je suis arrivée à la conception de fiction comme ça, en passant par le jeu et l’imitation.
Tu avais quel âge ?
Onze douze ans, je pense. Un peu plus jeune pour le fan art. C’est quelque chose qui nous a rapprochées. Ma sœur avait une imagination débordante, elle l’a toujours.
Après, avec les études, le jeu a été laissé de côté. Mais en arrivant à Paris, en rencontrant des gens dans le milieu du livre, une bande d’amis s’est constituée. Classiquement on a monté un groupe de jeu de rôle. C’était super de pouvoir remettre un pied dans cet univers, avec des gens dont la pratique était beaucoup plus développée que celle que j’avais eue avec ma sœur. Ils n’avaient jamais cessé de jouer, ils avaient joué à des jeux différents, ils avaient plus d’expérience. Et surtout, le meneur de jeu tournait. On changeait d’univers, avec une façon différente de faire jouer et de créer des histoires. En tant qu’étudiante et jeune active, ça m’a bien occupée.
Vous jouiez sur table ?
Oui, avec les dés, le crayon, le papier. À l’ancienne.
Par quel univers tu as commencé ?
Je me souviens de parties de L’Appel de Cthulhu, de Magna Veritas. Je suis venue dans le groupe avec des copines, on a féminisé le groupe !
Les fan fictions comme le jeu de rôle, ça donne la capacité de raconter des histoires ?
C’est lié. C’est s’emparer d’un univers qui n’est pas le nôtre pour y camper ses propres histoires et ses propres personnages. Même si on peut jouer sans que ça débouche sur une activité d’auteur.
Par contre, quand tu écris tu es seule, tu n’es plus autour d’une table où tu peux être sauvée par les autres joueurs. Tu fais quand même une connexion entre les deux ?
Ce n’est pas le même délire, on va dire. Mais est-ce que je serais arrivée là sans être passée par le jeu de rôle ? Par exemple, dans la fiction écrite, je ne fais jamais de fiche de personnages comme on peut avoir dans le jeu de rôle. Après, le jeu de rôle, ça débloque l’imagination. Dans une partie, il faut trouver des idées très vite. On n’a pas le temps de choisir la meilleure solution. C’est plus ça, ce sens de l’à-propos, cette obligation de voir la multiplicité des possibles, qui a pu m’aider dans l’écriture.
Vous jouez moins, toi et Guillaume (Chamanadjian). Est-ce qu’un jour, si tu reviens au jeu, tu te sentirais d’animer une table ?
À l’époque, si on avait joué un an ou deux de plus, j’aurais tenté, je pense. Ça m’aurait plu de le faire avec des gens qui sont devenus des amis. À présent, j’aurais du mal à me projeter. Je serais une MJ débutante. Alors que dans l’écrit, la maîtrise est totale, il n’y a pas le joueur pénible qui dit : « non, non, moi je défonce la porte ».
Ton univers de prédilection reste celui de la fantasy ?
J’aime le jeu de rôle dans les univers de fantasy, plus que dans la SF. Il y a beaucoup d’univers de SF que je trouve vieillis, virilistes, de droite. Enfin, je ne dis pas que la fantasy est très de gauche… Un des jeux sur lequel on a passé le plus de temps c’est Magna Veritas. Même s’il y a des anges et des démons, on est quand même censé se trouver de nos jours, on est plus dans le fantastique. Si je devais rejouer, je ne pense pas que j’aurais des limitations sur l’univers, ce serait plus avec qui je joue.
En tant que joueuse, quel est pour toi le plus grand plaisir dans le fait d’être autour d’une table. Lancer un dé ?
J’ai horreur de lancer des dés, en plus je n’ai jamais de chance avec les dés. J’aime justement quand on oublie les dés et qu’on commence à raconter une histoire ensemble, sans s’être entendus à l’avance. On est jetés dans une situation du fait du MJ, et l’un des joueurs dit « moi je fais ça », et l’autre rebondit, et on a ce plaisir qui paraît enfantin du « on dirait que… ». « On dirait que je m’accroche au lustre », « on dirait que dans le même élan je fais ça. » Même si on ajoute quelque chose de plus adulte, nos propres références, l’intertextualité. Je trouve ça extrêmement nourrissant, ce n’est pas seulement primaire et primordial, on y ajoute nos références communes. C’est un vrai moment de complicité. On se rend compte qu’on n’est pas autour de la même table par hasard. C’est l’amitié.
Vous avez construit de gros souvenirs ?
Oui ! Il y a des gimmicks qu’on peut se dire. Le « nein, nein, nein » de Baptiste !
Et là Guillaume Chamanadjian intervient : on jouait à Hollow Earth Expedition, un jeu dans la terre creuse avec des dinosaures et des nazis. Un ami jouait un personnage qui détestait les nazis. A un moment, le groupe se retrouve en infiltration dans un endroit où des nazis montent un plan, dans une base cachée. Vient la question du : « qu’est-ce que vous faites ? Vous continuez ? »
Claire : On était plusieurs joueurs à dire « on va se planquer, on va les prendre à revers… » Et tout à coup, Baptiste se met à rouler avec ses flingues en hurlant « Nein ! Nein ! Nein ! ».
Guillaume : il pète un câble, il tire, il arrose. Voilà, la scène d’infiltration s’est transformée en scène de course poursuite.
Claire : On avait aussi dû créer une fausse ONG, « un enfant, un crayon » pour une partie de Magna Veritas, sur laquelle on blague encore. C’est bête mais il y a toujours des petits liens comme ça. On voit moins les gens avec qui on joue, ils ont déménagé, la vie adulte, tout ça… mais quand on se retrouve, je ne dis pas qu’on refait toujours les mêmes blagues, mais cette complicité demeure.