Il faudra un jour se pencher sur la figure du policier dans la littérature. De nombreux éléments constitutifs du polar ont été analysés, mais ce personnage majeur, héros de nombreux romans, l’est peu. Comment sont représentés la Police et son travail, quand c’est un (ex) policier-écrivain qui en parle ? Qui d’autre a abordé ce sujet ? On pensera à Dominique Manotti et Bien connu des services de police, par exemple.
Rien ne se perd est habité par le fantôme de Saïd, 15 ans, mort au cours d’une interpellation par la Police. Il s’appelle Saïd comme il pourrait s’appeler Zyed, ou Adama. Les prénoms de ces morts qui n’apparaissent le plus souvent qu’en fait divers de quelques secondes au journal télévisé. Un voyou qui meurt, pensez donc… Cloé Mehdi leur donne chair avec intelligence et nuance, sans oublier de raconter une histoire qui vise juste, en ne faisant pas de Saïd le centre du roman. Elle choisit de prendre pour narrateur un garçon de onze ans, Mattia. Elle dresse simplement le portrait des anonymes des quartiers, là où les promoteurs abattent un vieil immeuble pour le remplacer par d’autres « aux normes européennes et écologiques, avec des loyers en conséquence. » Elle parle de ceux à qui on balance le mot Justice sans qu’ils n’en voient le début d’un bout. Ainsi parle la soeur de Saïd à un policier : « J’aimerais aussi qu’on soit égaux devant les juges, qu’ils remettent votre parole en question comme ils ne se fient jamais à la nôtre. »
Mattia, lui, trouve que l’école lui fait perdre son temps. C’est un petit garçon qui ne vit pas la norme et n’en veut pas, élevé par son tuteur, avec le souvenir de son père suicidé et la peur d’hériter de sa schizophrénie. Environné par la mort, mais aussi l’humour, la tendresse et la rage, il trouve refuge dans le silence. Rien ne se perd brise le silence de l’enfant et celui qui accompagne la mort d’un « voyou (est) tué par un policier. » Cloé Mehdi montre la souffrance face au monde, celle qui déborde, celle dont certains meurent, trop souvent les mêmes. D’autres réagissent, et leur passage à l’acte pose de grosses questions morales. Il fallait oser ; on n’en attend pas moins d’un polar.
Lire aussi les avis de Perrine chez Unwalkers, et Jean-Marc Laherèrre sur Actu du Noir.
Caroline de Benedetti
Cloé Mehdi, Rien ne se perd, Jigal, 2016, 270 p., 18,50 €