Le 25 février à Nantes nous recevions Simone Buchholz à Cosmopolis dans le cadre de l’exposition KRIMI, pour parler de son roman Quartier Rouge, et de Hambourg.
Comment êtes-vous venue à l’écriture ? Est-ce votre activité principale ?
J’ai commencé à écrire parce que je ne savais pas faire grand chose d’autre. j’ai travaillé longtemps comme serveuse, jusqu’à ce que mon père me trouve un job. J’ai d’abord écrit pour la presse, pour des magazines féminins, j’ai écrit sur l’amour, sur les relations hommee-femme pendant une dizaine d’années. Je n’avais plus du tout envie d’écrire sur ces thèmes-là donc je me suis tournée vers le roman policier.
Votre éditeur français précise justement que vous vous intéressez aux relations hommes-femmes, est-ce que ce n’est pas un des angles de vue de Quartier Rouge ?
Le roman paru en français est mon premier roman policier, les relations hommes-femmes y jouent encore un rôle important. Et comme chaque enquêteur a une vie privée, c’est aussi normal que ce thème soit abordé. Mon héroïne a une vie sentimentale un peu difficile en raison de son passé, mais dans mon 7e roman qui va paraître en mai ce sujet occupe une place mineure.
Comment avez-vous pensé le personnage de Chastity ? Que vouliez-vous faire avec elle ? Pourquoi est-elle procureur et pas policière, le métier qu’on trouve plus souvent dans ce genre de roman ?
Dans ce premier roman j’ai thématisé la question des origines, des racines, et ce qui se passe quand ces racines sont bousculées ou détruites. Par la suite mes romans sont devenus plus politiques. Si je me suis intéressée à cette question des racines c’est parce que je suis née dans la région de Francfort-sur-le-Main, où étaient stationnées beaucoup de troupes américaines. Il y avait de nombreux enfants né de couples de soldats américains et d’Allemandes, et j’allais à l’école avec eux.
Ces enfants avaient souvent des pères noirs, ils portaient des prénoms américains, les pères repartaient et les enfants restaient seuls avec leurs mères. Créer ce personnage de Chastity Riley permettait d’ouvrir beaucoup de perspectives. J’ai grandi dans une famille super, j’ai eu une enfance heureuse, mais je ne me suis jamais sentie liée à ma ville natale, je ne sais pas pourquoi. Je ne me sens donc pas concernée par ce sentiment d’appartenance à une patrie et à un lieu. C’est aussi pour cette raison que ce personnage a été construit comme ça. J’ai choisi de tracer le portrait d’une procureure parce que c’est le personnage qui décide de l’enquête, qui la dirige, mais elle n’a pas le droit de porter d’armes. Ca permet à cette femme d’être entourée de personnages qui en portent une et qui sont aptes à la protéger, comme des policiers, ou des gens qui habitent le quartier chaud de Hambourg.
C’est intéressant parce qu’Hambourg est bien présente dans le roman, avec notamment le quartier de Sankt Pauli où Chastity et Carla vont au stade voir les matchs de foot. Pourtant vous dites n’appartenir à aucun lieu. Qelle influence aurait la ville sur ses habitants selon vous, si elle en a une ? Quelles sont pour vous les particularités de Hambourg ?
La ville où j’ai grandi est une petite ville conservatrice, je m’y sentais étrangère. Quand je suis arrivée à Hambourg, cette ville port, cette ville ouverte, j’ai constaté qu’on pouvait s’attacher à une ville. Je m’y suis sentie la bienvenue. C’est aussi le cas dans le quartier de Sankt Pauli. Il est au bord du port, c’est un quartier pauvre qui accueille les étrangers depuis des siècles. C’est aussi le quartier des prostituées, des junkies, des hommes politiques… Chacun entretient de bonnes relations avec les autres. Ce quartier a nécessairement une influence sur les personnages de mon roman, car il est caractérisé par l’ouverture, tout le monde s’y sent bien, les gens ont du mal à le quitter.
Est-ce que vous avez besoin d’écrire sur un lieu que vous connaissez, ou bien vous pourriez, par exemple, écrire une histoire qui se passe à Saint-Petersbourg ?
J’ai besoin de connaître l’endroit sur lequel j’écris, que ce soit un sentiment ou une ville je dois les connaître. Mon prochain roman se passera en partie à Saint Petersbourg, j’y ai passé deux semaines, il faut que je sache quelles sont les odeurs présentes, comment les gens se comportent… Des auteurs se contentent de se documenter sur internet, moi je ne peux pas.
Je voudrais qu’on parle un peu du genre, du polar. Lors de notre voyage à Berlin les auteurs nous ont fait part de leur ressenti, et il semble qu’ils se sentent mal considérés en Allemagne, que le genre est moins reconnu, estimé peut-être, par les journalistes, les lecteurs, les éditeurs… Comment vivez-vous ça ?
Les écrivains de polar allemands regardent toujours avec envie la France, un de nos modèles c’est Simenon, et les auteurs se disent que s’ils étaient français ils seraient reconnus comme des auteurs à part entière. C’est un peu en train de changer, dans le roman policier il y a des courants différents. Dans les années 90 on avait des auteurs très littéraires, comme Jacob Arjouni, Frank Guhrer… et à cette époque ils étaient perçus aussi comme des écrivains politiques. Dans un second temps les polars sont devenus très trash, des thrillers ou du « cosycrime », et certains auteurs n’avaient pas forcément envie d’être classés dans ces catégories. Récemment on a constaté un changement dans la réception, les critiques littéraires s’intéressent de plus en plus au polar. Le grand hebdomadaire Die Zeit a établi une liste des meilleurs polars. Les romans sont plus politiques, les auteurs sont davantage pris au sérieux.
Quelle lectrice êtes-vous, vous lisez du polar ?
Je lis peu de polar, j’aime beaucoup Jacob Arjouni, je lis aussi quelques auteurs américains comme Raymond Chandler et James Ellroy. Je lis beaucoup les faits divers aussi, pour ma propre formation. Ce que j’adore, ce sont les auteurs américains et anglais qui écrivent de gros romans sur New York, par exemple.
En tant qu’auteur, pensez-vous avoir un rôle, une responsabilité vis à vis des lecteurs ? Luis Sepulveda disait qu’il était d’abord citoyen, et ensuite auteur.
Oui tout à fait. J’ai une conscience politique, je sais que j’ai une influence sur les lecteurs, et en particulier dans les moments que nous vivons. En tant qu’auteur de polar je suis amenée à me pencher sur les aspects les plus sombres de notre société, et je considère que c’est de ma responsabilité de montrer quels facteurs provoquent ces horreurs, quelles sont les causes.
Question du public : parmi les écrivains français, lesquels ont votre préférence, lesquels avez-vous lu et relu ?
Quand j’étais jeune, j’ai lu Françoise Sagan. Et d’autres auteurs, mais en fait je ne m’en souviens plus. Hier nous nous avons parlé cinéma et je ne savais citer que Piccoli, or cette nuit je me suis souvenue de Binoche, donc j’ai peut-être besoin d’un petit moment pour me souvenir des noms d’auteurs ! Ma mémoire est un peu lente.
Vous avez êtes curieuse de toutes les cultures ?
Ma génération a vécu dans l’ombre du IIIe Reich, elle s’est penchée sur cette période et peut-être par réaction nous avons beaucoup voyagé et nous nous sommes intéressées à d’autres cultures, nous nous sommes fait des amis un peu partout.
Pour revenir à Quartier Rouge, on y trouve de la musique, du punk rock, un concert dans un bar, le titre Walk a mile in my shoes. Quelle place a la musique dans votre écriture, elle vous accompagne, vous inspire ?
Chaque livre naît avec une musique. Le 5e je l’ai écris en écoutant tout le temps Johnny Cash. Dans chacun de mes livres c’est comme dans un film, il y a une bande originale. Il y a des moments où les gens mettent une pièce dans le juke box. Il y a des scènes bizarres où on entend la musique de Screamin Jay Hawkins. Mon personnage a souvent des extraits de musique qui lui viennent à l’esprit quand elle est en présence de cadavres, je ne sais pas pourquoi…
Justement, quel lien entretenez-vous avec votre personnage, Chastity ? Elle vous parle ? Elle se tient à côté de vous ? Connaissiez-vous toute sa vie, jusqu’à sa fin, en commençant le premier roman ?
D’abord, Chastity n’est pas moi. Mais aussi différentes que nous soyons, nous plongeons chacune notre regard dans les abîmes de la société. Je l’aime bien, et j’aimerais bien aller boire une bière avec elle. En même temps, je la trouve inquiétante, étrange, elle a du mal à accepter ses émotions, c’est une handicapée sentimentale. Quand je passe six mois à écrire, elle est avec moi, je la vois traverser l’appartement, je la vois dans son imper ou son blouson de cuir, avec son air un peu grognon. Parfois je l’emmène avec moi boire une bière le soir. En fait je ne sais pas du tout ce que sera Chastity, je n’avais pas de plan en commençant. Le personnage évolue, elle a le même âge que moi et quand j’ai fini un texte je sais ce que sera le prochain. Il y a une notion d’urgence dans l’écriture, je réagis à ce qui se passe dans le monde, je ne me dis pas « je vais écrire un roman sur les réfugiés », mais comme je m’intéresse à l’actualité je sais que ce sera le sujet de mon prochain roman.
Quel regard portez-vous sur ces dix années d’écriture ? Est-ce que c’est plus facile maintenant ?
C’est toujours aussi difficile, c’est à chaque fois une torture tout en étant magnifique. C’est à chaque fois un grand moment de solitude. L’évolution que je constate c’est j’écris de façon plus précise, je sais mieux qu’avant ce que je vais écrire et je suis plus directe.
Chastity vous accompagne, vous n’en êtes pas encore lassée ? On peut parfois se sentir prisonnier d’un personnage récurrent.
Non je n’en suis pas encore fatiguée. En plus il y a beaucoup de personnages secondaires autour d’elle qui m’intéressent. Quand je termine un roman je me dis que je ne veux plus jamais avoir affaire à cette femme, et en fait ça repart. Mais bien sûr j’envisage d’écrire le roman du siècle !
Question du public : vous avez changé d’éditeur récemment en Allemagne. Quel risque cela représente-t-il pour vous ? Comment cela se passe-t-il pour vous en tant que femme face à tous ces hommes ?
Normalement quand on change d’éditeur on change aussi de personnage. Mon nouvel éditeur, Surkhamp, savait que c’était un risque, de garder le même personnage, la même série, mais ils ont accepté ce pari. La presse s’est intéressée à ces questions, mais les lecteurs ça leur est égal que le roman soit publié chez l’un ou chez l’autre. Chez mon ancien éditeur je m’entendais très bien avec la lectrice, et maintenant je travaille avec un jeune homme qui est impitoyable, mais ça contribue à la qualité de mon écriture. Je ne sais pas comment c’est en France, mais ce n’est pas facile en tant que femme de s’affirmer dans un milieu dominé par les hommes, il y a beaucoup à faire pour que les femmes soient prises au sérieux. C’est difficile de gagner ses galons. Être chez Surkhamp me permet d’être davantage reconnue comme auteur.
Pouvez-vous nous dire quel genre d’éditeur est Surkhamp ?
C’est un éditeur très estimé, très ancien, qui publie essentiellement de la littérature au sens noble du terme, comme Peter Handke, Max Frisch, Thomas Bernhard. Ils éditent aussi des écrits scientifiques, de la poésie. Il y a dix ans si quelqu’un avait dit qu’ils publieraient des polars tout le monde aurait ri. Et puis, comme beaucoup d’éditeurs, ils ont eu des problèmes financiers et ils se sont mis à publier de la littérature de genre parce qu’elle se vend plus facilement. Là ils publient Elena Ferrante et n’ont plus de problèmes d’argent ! En polar ils ont commencé avec des auteurs étrangers, et maintenant nous sommes trois auteurs allemands. Il y a Friedrich Ani, le maître du roman noir, et Andreas Pflüguer qui écrit certains scénarios de Tatort et des thrillers très très durs : le personnage principal est une aveugle, qui est enquêtrcie au BKA, le FBI allemand.
Question du public : Pour les lecteurs qui lisent en allemand, faut-il lire vos romans dans l’ordre jusqu’au 7e ?
En France seul un roman est paru mais en Allemagne les lecteurs peuvent commencer par le 6e, qui est le 1er paru chez Surkhamp, parce que tous les personnages qui apparaissent dans les précédents romans y sont présentés.
Question du public : Comment votre métier de journaliste influence votre travail d’écrivain ?
Ca m’influence dans la mesure où je voudrais que ce que j’écris soit juste, corresponde à la réalité. Il y a des auteurs que ça indiffère de ne pas savoir quelle blessure provoque tel ou tel calibre de balle. Moi je veux savoir, et c’est un peu un obstacle. Je préfère l’exactitude, on peut trouver ça dommage. Mais quand je fais des lectures il y a parfois des policiers à la retraite – qui viennent me faire des remarques. Quand je regarde un polar à la télé, je regrette que ce ne soit pas exact. Comme beaucoup d’auteurs j’ai autour de moi un groupe d’experts qui m’aide et que je peux consulter. J’ai aussi une amie dans la police qui a travaillé dans la lutte contre le crime organisé et la criminalité économique, mais je ne peux pas la remercier car elle n’a pas le droit de m’aider…
Question du public : Y a-t-il des abîmes que vous refusez de traiter dans vos romans ? Y a-t-il des thématiques que vous ne pourriez pas traiter, et pourquoi ?
Il y a un thème que je ne pourrais pas traiter, parce que je suis maman, c’est celui des crimes commis sur les enfants. J’ai aussi du mal à regarder les films sur ces sujets.
Merci à Claudine Layre, aux éditions Piranha
et au Centre Culturel Franco-Allemand. Découvrez plus de polars allemands !