« Il y a huit ans dans un vieux journal, Paris Soir, qui datait du 31 décembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique : « D’hier à aujourd’hui ». Au bas de celle-ci, j’ai lu :
« PARIS
On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussure sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. »
La disparition est une récurrence du fait divers. Dans Dora Bruder, Modiano part à la recherche d’une jeune fille disparue et écrit un livre rempli de traces, elles s’entassent suivant les époques et les déambulations, elles sont là dans les rues, les chambres et les cafés de Paris, dans les administrations aussi quand les archives n’ont pas été détruites. Des traces comme autant de fantômes que Modiano invoque le temps d’une phrase ou d’un paragraphe.
Le propos du livre se rapproche en partie de celui de Laëtitia d’Ivan Jablonka. Modiano entend donner du relief à cette jeune fille disparue pendant la guerre. Il veut savoir qui était Dora Bruder et ce qu’elle aurait pu devenir, ce faisant il retrace aussi l’époque qui l’a tuée. Le lecteur construit ou reconstruit, il retrace une époque pas très joyeuse, c’est la guerre à Paris avec les nazis, la police et les rafles. Comme dans le roman Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier le récit comporte de nombreuses zones d’ombre. Alors même que Dora Bruder n’est pas un roman, mais plus le récit d’une enquête, un charme certain s’installe au fil des pages, des ponts se tissent entre les époques et Dora Bruder. Modiano essaye par des coïncidences plus ou moins appuyées de la raccorder à son histoire personnelle (comme il essaye de tisser des liens entre lui et des écrivains au travers de lieux), mais surtout – et c’est là qu’il réussit le mieux – Dora Bruder devient un personnage de tragédie. Depuis le 1er Juin 2015, une « promenade » porte son nom à Paris.
Emeric Cloche