Vendredi 15 décembre, se tenait la conférence-débat sur les conflits autour des ressources naturelles avec Olivier Truc (Le détroit du loup, éditions Métailié, 2014), Dominique Manotti, marraine du jury « Entre chien et loup » (Or noir, Gallimard, 2015) et Hervé Kempf (Tout est prêt pour que tout empire, Seuil, 2017), animée par Caroline de Benedetti. Voici un condensé de ce qui s’est dit dans l’amphithéâtre de la faculté de médecine.
Hervé Kempf pose les bases :
« Quand je pense pétrole, je pense à ça (il montre un gobelet en plastique), ça c’est du pétrole. Les scientifiques commencent à parler d’un 6e continent fait de débris de plastiques dans l’océan, amenés par les rivières et les fleuves. Le pétrole a totalement pénétré nos vies, à tel point qu’on ne s’en rend plus compte et il est à la source du changement climatique. A partir de la deuxième guerre mondiale, le pétrole est considéré comme le combustible du modernisme : un monde moderne, plastique, pratique, avec des transports, des grandes surfaces. Dans les années 70, il y a une simultanéité entre l’éveil de la conscience écologique et les chocs pétroliers. Le pétrole a également un rôle géostratégique ou géopolitique : il y a un lien très étroit entre le pétrole, le besoin de nos sociétés et le développement de l’ébranlement lié au terrorisme. Le pétrole déséquilibre et affecte nos sociétés, en terme écologique mais pas seulement. »
Il définit ensuite l’écologie :
« C’est la définition fondatrice qu’en avait donné le biologiste et naturaliste Ernst Haeckel à la fin du XIXe siècle : c’est la science des relations entre les êtres vivants. Les êtres humains étant des êtres vivants, cette définition s’applique à l’Homme et devient donc politique, politique dans le sens de la manière dont les humains s’organisent entre-eux pour régler leurs conflits, trouver leur équilibre et permettre le développement de leur société. Nous avons maintenant des relations de puissance et de domination : l’être humain est capable de modifier l’ensemble de la biosphère. J’ai dévoré de la science-fiction car elle a beaucoup éclairé la question écologique dans l’ordre artistique. Il y a un sens du récit, de l’intrigue, et de ce point de vue la science-fiction est la littérature de l’écologie. »
Dominique Manotti explique comment elle a écrit cette histoire autour du pétrole dans son livre Or noir :
« Ma démarche n’est pas du tout écologique. Quand vous m’avez demandé d’être marraine du jury, je me suis demandée : c’est quoi un roman écologique ? J’ai la définition là et on ne l’a pas du tout appliqué dans le jury donc la définition reste floue. Ce qui m’a accrochée dans le pétrole, c’est le bouleversement du marché avec le choc pétrolier de 1973 et à partir de là, l’entrée de notre société occidentale et mondialisée dans l’économie financiarisée. Avant de se jouer à la bourse, la financiarisation s’est jouée autour du pétrole et c’est ça que je voulais essayer de comprendre et de raconter : la naissance du trading du pétrole. Les traders ne font rien d’autre que commercialiser, ils ne participent ni à la fabrication ni à la distribution. Par exemple, entre le moment où un tanker de pétrole est chargé et déchargé, il est vendu 30 à 40 fois. Vous imaginez donc la masse d’argent spéculative qui circule autour du pétrole. »
À travers Le détroit du loup, Oliver Truc aborde l’aspect humain de l’exploitation du pétrole :
« J’ai découvert l’histoire de ces plongeurs de l’industrie pétrolière avec des articles de journaux norvégiens parce que ça commençait à faire du bruit. Deux anciens plongeurs se sont demandés si les problèmes physiques et psychiques qu’ils rencontraient étaient communs à d’autres plongeurs et ils ont retrouvé des documents qui montraient que l’État norvégien et les compagnies pétrolières avaient caché la dangerosité de leur métier. En 2004, j’en ai fait un article pour Libération qui s’appelaient « Les gueules cassés de la mer du nord », ça montre l’ampleur du phénomène. Maintenant on a des sous-marins télécommandés, mais à l’époque sans plongeurs, il n’y a pas de pétrole et sans pétrole, pas de richesse norvégienne. Or, ces plongeurs vont commencer à avoir des lésions cérébrales etc et là ils vont être abandonnés et c’est ça qui m’a touché, pour reparler de l’aspect humain. J’en ai fait un documentaire (La dernière plongée) pour France 5 et ensuite j’en ai fait un livre d’enquête, et tout ça est arrivé dans Le détroit du loup. »
Puis, il donne un aperçu de la situation du grand Nord :
« Si on parle du grand Nord, on parle de la Laponie, c’est 400 000 km² répartis sur la Finlande, la Russie, la Suède et la Norvège. Malheureusement pour les samis, c’est une terre très riche. On exploite les mines, les forêts, on construit des barrages hydroélectriques. Il y a du pétrole et du gaz en mer de Barents. C’est une terre très convoitée et qui dit convoitée dit conflits. Il y a un décalage entre l’image que les nordiques ont d’eux-mêmes et que nous avons d’eux et la réalité vécue par les minorités samis. Cette minorité est discriminée et on ne tient pas compte de leur avis. »
Les invités évoquent leur vision de l’avenir.
Olivier Truc : Les norvégiens continuent à développer des prospections pétrolière et gazière dans la mer de Barents, dans l’Arctique, qui est une des mers les plus fragiles au monde. Aujourd’hui, les norvégiens sont les seuls à avoir une politique aussi agressive. Ils sont dans une logique jusqu’au-boutiste, tout en étant les champions du monde de la voiture électrique, ils jouent sur cette image. Ça fait de plus en plus débat en Norvège, mais ils n’arrivent pas à se détacher de cette fuite en avant pour extraire la dernière goutte de pétrole.
Hervé Kempf : La question de l’épuisement des ressources est un débat qui se trouve au cœur de l’écologie. La question n’est pas tranchée mais ce qui est avéré c’est qu’ils nous en faut toujours plus. Si on reste dans un système d’économie qui cherche la croissance, on a besoin de toujours plus de ressources. Les meilleurs gisements ont été exploités d’abord et donc plus on avance, plus on a des gisements moins importants. Pour obtenir la même quantité de ressources, on va extraire beaucoup plus de matières, ce qui a un impact sur l’environnement. On voit de plus en plus apparaître des conflits de ressources entre puissances. Il y a par exemple une bataille pour les ressources pétrolières de l’Arctique et le réchauffement climatique, par la fonte de la banquise, facilite l’exploration et l’exploitation pétrolière. La solution serait de s’engager dans un système de société globale qui irait vers une sobriété de la consommation, qui intégrerait la question écologique et qui permettrait à tous les êtres vivants de vivre.
Dominique Manotti : Le capitalisme est plastique et n’a pas pour vocation de produire mais de faire du profit. Je pense que les menaces de guerre sont extrêmement sérieuses. Je suis pessimiste mais j’ai du mal à ramener ça uniquement à l’écologie.
Propos recueillis par Justine Vaillant