Paris, 1970. À l’hôtel Sélignac, la discrétion est de mise : les plus grands viennent chercher ici une compagnie particulière : des femmes mais avec un truc en plus. Andrée, né André, aux boucles blondes et grands yeux bleus a beaucoup de succès. Entre deux clients, elle lit dans le journal qu’une femme pieuse a été retrouvée morte, une médaille enfoncée dans le pelvis. Fan de romans policiers, elle décide de mener l’enquête et tombe sous le charme du neveu de la défunte : Maurice Duvernois. Mais bientôt une de ses collègues, Nina, de son vrai nom Anatole, est retrouvée morte dans les toilettes de l’hôtel : on l’a émasculé et on retrouve là aussi une médaille. Alors que les cadavres de travestis se succèdent sur la table d’Albert Féclas, médecin légiste, Dédée se lance sur les traces du tueur avec son aide ainsi que celle de son frère Pierrot et de son amie Violette.
À travers les souvenirs d’Andrée, quatre-vingts trois ans, Brigitte Aubert raconte le Paris de la Belle Époque : cette narration interne nous plonge directement dans l’histoire et on suit les aventures de Dédée, du Vélodrôme au Café mauresque, avec un sentiment de presque réalité. Entre les lignes des « mémoires » de son personnage, on devine le destin des protagonistes, quelques années avant la Première Guerre mondiale. L’auteure nous conte cette génération, née à la fin du XIXe siècle et qui a connu les plus grands bouleversements de la société : les deux guerres mondiales mais aussi le cinéma, l’automobile, le téléphone et plus encore.
Pour ceux qui ont lu le roman de Caled Carr ou qui suivent son adaptation en série diffusée actuellement, l’histoire a des similitudes avec The Alienist de par ses meurtres violents de jeunes travestis. L’enquête est prenante et les suspects nombreux. Le suspense est lui aussi au rendez-vous : à chaque fois que Dédée sort de l’hôtel, la crainte d’être démasquée est grande car malgré leur nature profonde, les individus de sexe féminin doivent mettre des robes et ceux de sexe masculin des pantalons, sous peine d’amendes ou pires.
Le roman est donc aussi un témoignage fictif de la communauté LGBT de l’époque en France. Andrée vit une histoire d’amour impossible avec Maurice, jeune homme séduisant et attirée par les jolies jeunes filles et ignorant son secret. Elle est protégée par les murs et la discrétion de l’hôtel, ce qui n’est pas le cas des travestis contraints de travailler au bord des routes ou dans les vespasiennes, exposés à toutes sortes de dangers. Les amours homosexuelles sont interdites et immorales. Malgré le charme de ces années baroques, on sort de ce récit avec la mesure du chemin parcouru et de l’amélioration de la société.
Justine Vaillant
Brigitte Aubert, Les Mémoires d’un valet de cœur, Seuil, 19,50 €, 320 p.