« On ne présente plus Brian De Palma qui a marqué l’histoire du septième art avec nombre de films mythiques dont Blow out, Scarface, Body Double, Les Incorruptibles, ou encore Carrie et Mission impossible » dixit l’éditeur. Ajoutons-y Carlito’s way, le plus émouvant, et Snake eyes, le plus virtuose. Oui, Brian de Palma est un grand cinéaste et l’hommage que vient de lui rendre la Cinémathèque française, parfaitement mérité. C’est le moment choisi par Rivages Noir pour éditer « le premier roman policier » du réalisateur, co-écrit (2016) avec son épouse Susan Lehman, « chef de rubrique au New York Times ».
Un roman ? ça ? Des paragraphes de deux à sept lignes, séparés par de gros alinéas. On dirait un bloc notes. Exemples de paragraphes :
« La porte de l’ascenseur s’ouvre. Nick sort dans le hall, traverse la moquette vert printemps, passe devant un mur de bambous (des bambous dans le hall d’un immeuble de Vegas ? Euh, n’essayez pas de comprendre) et se dirige vers l’entrée des livraisons ».
« Un peu plus tard, Elizabeth, debout à côté de la table de la cuisine, nue, boit de l’eau Fuji au goulot. Couché dans le lit, Nick la regarde. Il aime ce qu’il voit, alors, il ramasse son iphone et fait quelques photos vite fait. »
« Nick sort du lit et enfile son caleçon. (Jaune et vert avec des dessins de palmiers)
« Nick pénètre sur le parking de Vegas Today au volant de sa Cutlass Sureme de 79. La radio diffuse du Maroon 5 lorsque l’Oldsmobile se faufile sur son emplacement réservé, juste à côté de celui de Bruce Diamond. »
Voilà, 300 pages comme ça. De Palma n’étant pas romancier, mais cinéaste : si ce n’est pas un roman, un scénario, peut-être ? Même pas. Un scénario, ça se rédige, ça ne se limite pas à une succession de plans juxtaposés… Et que viennent faire dans un scénario, ces parenthèses subjectives ? Et puis, franchement, si c’est là l’ébauche d’un scénario que le maestro n’a pas pu tourner, tant mieux pour sa réputation, parce qu’en ce qui concerne l’intrigue, elle est plutôt languissante – un comble ! compte tenu du style d’écriture adopté ! Et peu originale : divulguer l’addiction sexuelle d’un homme politique pour entraver sa carrière politique… c’est un peu court, jeune homme ! Si ni le style, ni l’intrigue ne valent tripette, que dire des personnages ? Qu’ils sont traités avec la même désinvolture que le reste ! Rien que des stéréotypes : le charismatique sénateur, le cynique directeur de campagne, la blonde à forte poitrine moins idiote qu’elle n’en a l’air, le photographe trentenaire, tellement « atypique » qu’il en devient peu crédible…
Non, vraiment rien à sauver ! Ah ! le titre, quand même… Intrigant, n’est ce pas ? C’est aussi la dernière phrase du roman, sans aucun lien avec tout ce qui précède : « dites moi un peu : les ours font ils caca dans les hôtels de charme ? Le pape est-il juif ? Qu’en pensez-vous, Betty : les serpents sont-ils nécessaires ? »
Dites, Monsieur de Palma, prendriez-vous vos lecteurs pour des cons ?
Jocelyne Hubert
Brian de Palma et Susan Lehman, Les Serpents sont-ils nécessaires ? (2018), traduit par Jean Esch pour Rivages Noir