« À la maison il y avait quatre chambres. »
La famille est un lieu de fiction. Des pièces de la maison, aux habitants qui l’occupent, tant de choses s’y passent. Rien de tel qu’une petite famille ordinaire ou presque, chacun peut y reconnaître une part de lui-même. Chez la narratrice de onze ans, le père a une vraie passion pour la mise à mort d’animaux, le petit frère va basculer, et la mère sert surtout à « préparer les repas, ce qu’elle faisait comme une amibe, sans créativité, sans goût, avec beaucoup de mayonnaise. »
Alors on s’imagine embarqué dans un roman sur l’adolescence, et il y a de ça. La narratrice a onze ans, puis douze, puis treize, un pied dans l’enfance et l’autre qui la mène vers cet homme si séduisant. Et sans doute parce que « la subtilité et la grâce ne faisait pas partie de mon code génétique », elle possède une force et un regard décalé sur le monde. Son petit frère incarne une sorte de ligne de flottaison, la bouée à maintenir à flot à tout prix. La part d’innocence à préserver.
Et puis le décor a son rôle. L’architecture de ces petites zones pavillonnaires, supposées modernes dans les années 70, devenues moches dans les années 90, dessine la vie de proximité, celle dont parlent Pascal Garnier, ou Pascale Fonteneau, où on s’aime et s’épie. La nature n’est pas loin, à quelques pas l’ombre du bois se fait sentir et donne une belle tonalité tonalité fantastique. Les arbres griffent et lacèrent. Les animaux empaillés, accrochés aux murs, dessinent des ombres effrayantes. Les monstres imaginaires rôdent, à l’image de cette vallée creusée par la griffe d’un dragon. La volonté tenace de croire encore un peu au pouvoir de la magie en devient plus admirable.
Le premier roman d’Adeline Dieudonné emporte par son écriture. Le ton enfantin de la narratrice se mêle à une certaine légèreté. Mais il ne faut pas s’y fier. Le propos est violent. La surprise et le choc vous agrippent, au détour d’une scène. La vraie vie raconte la violence, contre les femmes et les animaux, et puis celle qu’on porte en soi. Le roman monte en tension, à mesure que la narratrice grandit et refuse l’ordre imposé par la famille. Il faudra cette adolescente sauvage pour l’extirper du drame. Et pour choisir sa vie. La vraie vie. Terrifiant, imparable, avec une boucle finale magistrale. Chapeau !
Caroline de Benedetti
Adeline Dieudonné, La vraie vie, L’Iconoclaste, 2018, 17€, 266 p.
One thought on “La vraie vie de Adeline Dieudonné”
Comments are closed.