Le 1er Septembre avait lieu l’inauguration d’une nouvelle librairie à Strasbourg, entièrement dédiée au polar. Pour l’occasion nous avons posé quelques questions à Eric Schultz, qui lance cette aventure.
Eric Schultz, je crois que vous possédez beaucoup de romans chez vous. Comment et quand êtes-vous tombé dans le polar ?
J’ai été attiré assez tôt par le polar, je crois que le tout premier que j’ai dû m’offrir adolescent était Le grand sommeil de Chandler. Pas facile de se retrouver dans cet univers fascinant quand on a 15-16 ans à Strasbourg au début des années 80… Ma chance est venue plus tard quand je suis arrivé à Paris pour étudier. J’ai eu l’occasion, et le privilège, d’y croiser plusieurs auteurs estampillés neo-polar : Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, Gérard Delteil, Jean-Bernard Pouy, Frédéric Fajardie et surtout Jean-François Vilar qui venait de publier Les exagérés… Ça a été un déclencheur et je me suis mis à suivre passionnément ces auteurs qui mettent en lumière avec talent les côtés sombres de notre quotidien ou certaines pages noires de notre histoire… Puis j’ai élargi le champ à d’autres, des classiques comme Dashiell Hammett ou Jim Thompson, des auteurs qui m’ont marqué comme Jean Amila, Maj Sjöwall et Per Wajlöö, Donald Westlake ou Jean-Patrick Manchette, des auteurs contemporains comme Henning Mankell, Tony Hillerman, James Lee Burke… et plus récemment Rachid Santaki dont l’écriture puissante m’a conquis d’emblée ! J’en oublie évidemment, la liste est longue…
C’est le côté politique du polar qui vous intéresse, je crois que vous utilisez une citation de Jean-François Vilar sur le roman de la crise. Quel peut-être le pouvoir de cette littérature, son intérêt, selon vous ?
Les dimensions sociales et politiques du polar plus exactement… J’ai en effet le sentiment que le polar est un révélateur du monde dans lequel nous vivons et qu’il permet de mettre en lumière des aspects que d’autres formes d’écriture peinent à rendre visible. Le côté « brut de décoffrage » du polar, sans concessions permet d’aborder sans détours des sujets sensibles qu’on préfère occulter… « Polar signifie roman noir violent. Tandis que le roman policier à énigme de l’école anglaise voit le mal dans la nature humaine – mauvaise –, le polar voit le mal dans l’organisation sociale transitoire. Le polar cause d’un monde déséquilibré, donc labile, appelé donc à tomber et à passer. Le polar est la littérature de la crise. Pas étonnant qu’il reprenne vie ces temps derniers. » Cette définition du polar que donnait Manchette colle assez bien à ce que je recherche dans le polar. Et Vilar, dans sa très belle phrase qui accueille les lecteurs dans l’entrée de La Tache Noire ne dit pas autre chose : « Le roman noir, parce que c’est la crise, se joue dans un état d’urgence. Il parle du monde, maintenant. Et le monde va vite. Tant pis si nous sommes fatigués ».
Ouvrir une librairie spécialisée, en 2018, combien de fois vous a-t-on traité de fou inconscient ?
J’ai perdu le compte… Mais bien moins souvent que les fois où des personnes enthousiastes trouvent l’idée excellente au point de s’étonner que personne ne l’ait eue jusque là… Je ne vais pas nier les difficultés du contexte et de l’activité, mais vu l’accueil qui nous a été réservé et l’intérêt que suscite La Tache Noire, je reste optimiste et persuadé qu’un lieu dédié aux littératures policières ne peut qu’intéresser les lecteurs, profanes, amateurs ou experts qui ont envie de redécouvrir des classiques parfois trop difficiles d’accès, ou de sortir des sentiers battus en découvrant des auteurs peu mis en valeur ailleurs… C’est un pari, au pire ça marche…
Ça y est, La Tache Noire est ouverte. Comment se passent ces premiers jours, après tout ce temps d’attente et de travail pour mener à bien le projet ?
Nous avons eu la chance d’avoir de beaux relais dans la presse locale et sur les réseaux sociaux, ce qui nous a permis un démarrage en beauté. La journée du 1er septembre a été juste magique avec une affluence qui n’a pas faibli tout au long de la journée. Nous avons été très touchés par l’enthousiasme des lecteurs et des curieux venus découvrir le lieu et cela nous renforce dans notre optimisme. Le première semaine se passe plutôt bien, même si il est encore beaucoup trop tôt pour préjuger de quoi que ce soit. Cela nous laisse le temps de préparer notre événementiel qui contribuera à nous ancrer dans le paysage des librairies strasbourgeoises et à marquer notre spécificité.
Vous proposez un espace pour boire un thé ou un café, vous allez inviter des auteurs. D’autres idées d’animation pour faire vivre la librairie autrement ?
Effectivement, La Tache Noire est une librairie spécialisée, mais se veut aussi un lieu de vie où l’on peut passer un moment au calme et en bonne compagnie. Notre espace café nous permet d’accueillir une douzaine de personnes et offre un choix assez vaste de boissons (café bio, thés 1336 pour soutenir les fralibs de scopti, sodas bios locaux dans des contenants en verre consigné….).
Un cycle d’animations avec auteurs est en train de se mettre en place avec déjà 8 dates arrêtées avant la fin de l’année et 3 ou quatre autres en préparation. Nous avons déjà prévu d’accueillir François Médéline, Valentine Imhof, Frédéric Paulin, Jérémy Fel et Patrick Raynal et quelques auteurs locaux comme Renée Hallez, Michel Kopp, Mina Moutski, Urban & Urban et Jacques Fortier pour la sortie de son nouvel opus aux Editions du Verger en octobre…
D’autres animations sont encore à mettre en place, notamment autour de nos jeux de société (avec notamment la présentation de « Minuit, meurtre en mer » du strasbourgeois Alain Luttringer) ou avec des acteurs locaux qui souhaiteraient travailler des projets faisant écho à notre thématique
Enfin, notre site internet proposera assez vite des animations numériques (cartopolar, écriture en ligne, blogs…) pour permettre aux amateurs de noir de suivre notre actualité et de se retrouver régulièrement sur place ou de nous suivre à distance…
Quelque chose me dit que nous n’avons pas fini de surprendre, et c’est très bien ainsi. À suivre…
Nota : La Tache Noire accueille L’Indic dans ses rayons, merci Eric Schultz !
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