Demandez le programme !
Personne ne conteste plus au cinéma sa place au panthéon des Arts, ni ne s’indigne de la conclusion d’André Malraux à son Esquisse d’une psychologie du cinéma : « par ailleurs le cinéma est une industrie ». Art Et Industrie ? S’il en était besoin, le programme de la 40e édition du Festival des 3 Continents en apporterait la preuve : sur les 76 films présentés, 40 sont des productions asiatiques, 14 proviennent d’Amérique Centrale et Amérique du Sud, et 6 seulement du continent africain. Proportions révélatrices des disparités géopolitiques et de la mondialisation économique mais preuve s’il en fallait de l’universalité de l’Art.
Avant de crier à l’impérialisme chinois, observons d’un peu près cette programmation : sur les 40 films asiatiques, 12 sont regroupés dans la section Taipe Stories où se côtoient Edward Yang, Hou Hsao Hsien et Tsai Min Liang, cinéastes essentiels de notre temps, entourés de quelques personnalités de la génération qui les a précédés , comme Liang Zhefu (Early train from Taipei), ou suivis, tel Lee Kang-sheng ( acteur fétiche de Tsai Min Liang) réalisateur de The Missing. Rien de choquant donc à la place faite à l‘une des cinématographies les plus excitantes de la planète ! L’occasion de voir des films rares (La fille du Nil de Hou Hsao Hsien) ou de revoir Terrorizers d’Edward Lang et Good bye, Dragon Inn de Tsai Min Liang .
Le cinéma coréen est avec celui de Taiwan l’un des mieux distribués en Occident, peut-être parce qu’il fait la part belle au cinéma de genre, tel Bong Joon-ho (Memories of murder ; Mother). Un seul film coréen cette année en compétition internationale : Winter’s night du jeune Jang Woo-jin, dont le film précédent Autumn, Autumn (2016) a été bien accueilli dans les festivals où il était présenté. On ne connaît guère la production de Singapour qu’à travers la filmographie d’Eric Khoo – présent dans la section 40e, 40 films avec Be with me qui fut « l’une des plus belles surprises du festival de Cannes » en 2005. On est donc impatient de découvrir A land imagined du jeune singapourien Yeo Siew Hua (compétition internationale) qui a reçu le Léopard d’or au dernier festival de Locarno. Très intrigantes également les productions indonésienne (Memories of my body de Garin Nugroho) et thaïlandaise (Manta Ray de Phuttiphong Aroonpheng)…. qui figureront peut-être au nombre des révélations que furent en leur temps Cure de Kiyoshi Kurosawa, Still Life de Jia Zhang-ke, et Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul – tous les trois présents dans la section 40e, 40 films.
Le Moyen Orient a droit a un film en compétition internationale : Israël avec The Dive de Yona Rozzenkier et deux en séances spéciales : Israël à nouveau avec Tel Aviv on Fire de Sameh Zoabi et l’Iran avec Pig de Mani Haghighi – que le scénario situe à mille lieues du cinéma de Kiarostami (présent dans la section 40e, 40 films)
Deux films d’Amérique centrale en compétition internationale : José de Chen Li (Guatemala) et Faust d’Andrea Gusman (Mexique). Deux d’Amérique du Sud : Temporada d’Andre Novais Oliveira (Brésil) et Les Oiseaux de passage de C. Gallejo et C.Guerra (Colombie), ce dernier présenté lors de la cérémonie d’ouverture. La nouvelle vague argentine, elle, est représentée par La Libertad de Lisandro Argento, le magnifique Zama de Lucrecia Martel et le film fleuve : La Flor de Mariano Llinas (section 40e, 40 films) plutôt bien reçu à Biarritz et Locarno, malgré sa longueur : 14h ! dont 30 mn de générique et pauses pipi comprises, si l’on a bien compris les nombreux articles trouvés sur la toile. Il y est précisé que ce film monstre est constitué de 6 épisodes relevant de genres différents : le premier serait une série B, le second une comédie musicale, le troisième un film d’espionnage, etc… seul point commun entre les 6 épisodes : les 4 comédiennes. Heu… Ne serait-ce pas ce qu’on appelle à la télé, une « série » ?
Deuxième continent le plus peuplé de la planète et dont l’un des pays (Nigéria) est le deuxième producteur mondial de cinéma, après l’Inde (et avant Hollywood), L’Afrique disparaît progressivement du Festival des 3 Continents : un film de fiction en séance spéciale, Les Moissonneurs d’Etienne Kallos (Afrique du Sud ), deux autres en section anniversaire : Un Homme qui crie de Mahamat-Saleh Haroun, Tchad (membre du jury 2018, après avoir été celui de Cannes en 2011) et Inland de Tariq Teguia (Algérie). À mille lieux des clichés « ethniques », deux films qui conjuguent splendeur esthétique et réflexion philosophique sur l’identité et la transmission. Les 3 autres sont des documentaires : le classique Soleil Ô de Med Hondo (Mauritanie, 1970) dont la charge virulente contre racisme et colonialisme n’a rien perdu de sa force, est dans la section Des Frontières et des Hommes, tandis que le multi-primé Dans ma tête un rond point, de l’algérien Hassen Ferhani est dans la section 40e 40 films, aux côtés de Atalaku, du congolais Dieudo Hamadi, qui a choisi de filmer des jeunes d’un quartier populaire de Kinshasa, pour suivre la campagne électorale de 2011 en République démocratique du Congo.
Les africains sont aussi dans les films d’européens, émus par leur sort d’éternels migrants et c’est dans la section Des Frontières et des Hommes que l’on retrouvera le beau film de Kaurismaki, Le Havre, le documentaire de Pierre Linguanatto L’Aventure est un secret, adaptation d’un livre constitué d’entretiens avec des résidents de « foyers de travailleurs migrants » et dirigeants de collectifs d’ouvriers sans papiers. Et ce qui pourrait bien être le film choc du festival : le documentaire (225 mn) de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval sur la jungle de Calais : L’héroïque lande, la frontière brûle.
Programmation détaillée et calendrier ici.
Jocelyne Hubert