« L’enfer, c’est les autres », dit la célèbre citation. Surtout en prison. Surtout quand on est un jeune homme naïf arrivé là pour avoir donné un coup de main à son braqueur de frère. Ainsi démarre le roman, par cette plongée dans l’univers carcéral, ses rapports de force et ses brimades. Le basculement d’un être doux dans la haine.
« Tous des bourreaux potentiels, des pantins, des mecs à crever. Et puisqu’en prison les gardiens n’ont d’autorité que dévolue par le Dehors, toute la société dans ses structures les plus élémentaires est détruite par ce tabassage. Chacun y a perdu avec mon jeune sang. Mon innocence contre sa prétendue moralité, mes illusions contre sa valeur d’ordre, ma jeunesse contre sa pathétique idée de progrès. »
De nombreux autres ouvrages ont raconté ce monde à part avec talent, pensons à Hafed Benotman. Le démarrage du récit à la première personne est intense et sec, mais encore insuffisant pour provoquer le chavirement. Mais il arrive.
Sophie Divry fait basculer l’histoire dans une ambiance de survivalisme et de fin du monde. Une catastrophe nucléaire, la France coupée en deux et Joseph, après l’enfermement, se voit recraché dehors, dans un monde qui n’a plus rien de celui d’avant. Le bruit, la promiscuité, les corps, les regards, tout cela a disparu. Mais s’offre aussi un champ de liberté et de possibles. Une société soudain mise en relief par l’absence de ses repères habituels.
« Mais leur ordre est encore lisible. Leur ordre veut survivre même sans eux. Leur ordre résiste. Dans ces panneaux pour faire redouter la morsure d’un chien. Dans leurs Réserve de chasse, Interdiction de pêcher, Attention alarmes, dans leurs systèmes de sécurité. Dans leurs Défense de stationner, leurs portes blindées et toujours, toujours, dans leurs petits panneaux. Propriété privée.
C’est l’enseigne la plus répandue entre toutes, la petite enseigne rouge et blanc, Propriété privée. »
La solitude, d’abord bienvenue, devient une souffrance. La simple rencontre avec un mouton se transforme en émotion intense. Joseph n’est pas le sujet du roman, de lui lecteur sait peu de choses. Il est le réceptacle à travers lequel s’illustre le fantasme d’un retour à une vie plus simple, proche de la nature, calée sur les saisons, la lumière naturelle. Ces choses qui semblent nous manquer aujourd’hui, même si nous ne les avons pas connues, tant le superficiel nous envahit. Sophie Divry fait vivre ces petits détails, les plaisirs retrouvés, elle multiplie les belles idées, avant la dégradation de l’idéal.
L’homme est-il un être social ? Trois fois la fin du monde propose une réponse émouvante et un voyage au cœur de l’homme dans la société.
Caroline de Benedetti
Sophie Divry, Trois fois la fin du monde, Notabilia, 2018, 16 €, 235 p.