Des femmes, un homosexuel et un shoggot, voilà la liste des survivants après 10 épisodes de Lovecraft Country. Et l’on ressort de là un peu groggy, la tête remplie d’images et de discours.
La fin de la série sonne comme une prise de pouvoir de la fiction. Réfugiée dans la voiture au milieu des bois, Dee lit le roman Lovecraft Country. Pendant ce temps, au terme d’une lutte sanglante, la magie jusqu’ici détenue par les blancs américains passe dans les mains des noirs américains. C’est du moins ce que revendique Letitia en brisant le sortilège d’immortalité de Christina. Alexandre Dumas est de nouveau cité, et l’on songe que son univers, ou au moins son art des rebondissements, sont présents depuis quelques épisodes, plus peut-être que le fatalisme lovecraftien.
On pourrait penser que la magie retirée aux blancs est la faculté de raconter des histoires. Dee, avec son shoggot et sa main mécanique, seraient l’incarnation d’un nouvel imaginaire… tuant les vieilles fictions (Christina/Lovecraft) pour écrire la sienne (ce qui rejoindrait les réflexions du premier épisode). Les pistes d’interprétations ne manquent pas.
Revenons sur les femmes de la série : elles s’éloignent des schémas classiques du genre dans un final qui ne rentre pas dans les canons du fantastique, à part pour le sacrifice d’Atticus. On note d’ailleurs que les héroïnes (les ancêtres d’Atticus) donnent les clefs à Letitia. Héritière du Livre des Morts, elle se prend en main et écrit sa propre histoire en terrassant la peur. Mais si l’enjeu final tendait clairement vers l’incantation, bien malin qui aurait pu dire comment l’écheveau allait se démêler. Tout en ayant navigué dans les divers univers pulp la série a créé sa propre narration autour d’un thème cher au fantastique : l’immortalité. Quoi qu’il en soit, la magie appartient maintenant à la famille de Montrose ; la boucle est bouclée. Le cercle est tracé. La magie demeure.
Cette fin peut laisser dubitatif sur le plan scénaristique (la façon de boucler les histoires est peut-être trop rapide) et sur le plan moral (la magie comme objet à conquérir, et de lutte entre le blancs et les noirs, n’est-ce pas un peu caricatural ?). Et, au fait, la magie est-elle une bonne chose ? Chez Lovecraft elle a vite fait de dévorer l’humanité de celles et ceux qui la pratiquent.
Lovecraft Country est à voir et à revoir. La série marque une prise de conscience dans l’univers du fantastique. On pourra penser à des œuvres comme La main gauche de la nuit d’Ursula Le Guin, qui a apporté un nouvel éclairage sur les rapports et les rôles homme / femme. De nouvelles thématiques, de nouvelles histoires arrivent.
Emeric Cloche