Le Nord de la France inspire le cinéma, la littérature et le polar. Tendance population en souffrance et fermeture d’usine. Dans le genre, impossible de passer à côté d’excellents romans comme Aux animaux la guerre, de Nicolas Mathieu, Lorraine Connection, de Dominique Manotti, ou encore Les derniers jours d’un homme, de Pascal Dessaint.
Après les embruns, l’île et l’irruption d’un étranger dans Terminus Belz, Emmanuel Grand revient avec un 2e roman très attendu, un peu comme quand vous réussissez pour la première fois votre gâteau et qu’il faut vérifier à la seconde tentative s’il s’agissait d’un coup de chance.
« La guerre, entendez-vous, et non la guerre d’Algérie. Celle-ci est perdue, et il faut tourner la page. Car une autre bataille se profile. Nous avons basculé dans un nouveau monde, où les maîtres mots sont production, expansion et progrès et, bien entendu, nous ne sommes pas les seuls à vouloir notre part du gâteau. Cette nouvelle guerre a ses armées, ses champs de bataille, ses morts et ses estropiés. C’est à cette guerre moderne que je vous propose de participer. »
Après une excellente entrée en matière aux côtés de soldats de la guerre d’Algérie, Emmanuel Grand ramène son récit en 2015.
Les salauds devront payer. Mais qui sont les salauds ? Le patron de l’immense usine de métallurgie qui emploie plus de 1 000 ouvriers et délocalise avec la concurrent de la Chine et du Mexique ? Les syndicalistes qui font pression pour améliorer les conditions de travail et usent parfois pas de méthodes douteuses ?
(Metaleurop Nord, modèle possible pour l’usine Berga)
Bienvenue à Wollaing, petite ville imaginaire non loin de Valenciennes. On y lit La Voix du Nord, on se réconforte au bar le dimanche avec les mômes pour oublier le cumul de petits boulots et les prêteurs sur gage au cul, seul métier rentable. Dans ces descriptions, l’auteur réussit ses meilleurs passages. Quand il introduit une touche d’humour, avec Salhila la jeune flic chez le coiffeur, ou avec son collègue Vanderbeken dans une chambre d’hôtel en Belgique. Puis à mesure qu’avance l’enquête sur le meurtre d’une jeune toxico et d’un ancien syndicaliste, le roman rentre une mécanique très classique, tant dans l’histoire que les relations entre les personnages. Recherche de la vérité, entretiens avec les témoins et suspects et plongée dans les archives du journal mènent à une issue un peu précipitée, comme si l’auteur ne savait pas comment boucler cette intrigue. La solution repose en partie sur ce qu’il omet (sciemment) de dire d’un des personnages, et cette petite manipulation laisse un goût de déception. En se refaisant le film à l’envers, pour remettre l’histoire dans le bon ordre, le fond paraît quelque peu invraisemblable, et certains éléments, disons familiaux pour ne rien dévoiler, tirés par les cheveux. Cela tempère l’enthousiasme suscité par la lecture de la première moitié du roman.
Caroline de Benedetti
Emmanuel Grand, Les salauds devront payer, Liana Levi, 2016, 384 p., 20 €