Nous ne parlerons pas ici, au sujet du premier roman d’Hervé Jourdain, de la qualité de l’écriture, ou de celle de l’histoire. Bien des lecteurs estiment que ces critères ne sont pas discutables et qu’en matière de littérature, les goûts et les couleurs…
Si cette opinion n’est pas la nôtre, un point peut et doit faire débat : le sujet du roman et les idées qu’il diffuse. Il est souvent étonnant de voir que sous la plume de blogueurs, et même de journalistes, le contenu politique de certains polars est absent. À l’image du Guérilla de Laurent Obertone, ou encore Entre deux mondes de Olivier Norek.
Les romans écrits par des policiers se comptent en nombre. Aux premières loges pour récolter de la matière première, ils en font par la suite un usage qui varie d’un auteur à l’autre. Des Hugues Pagan ou Joël Baqué ne font pas la norme. En 2009, Hervé Jourdain sort Sang d’encre au 36. A la façon d’un Pierre Lemaitre avec Travail soigné, il rend hommage aux littératures policières et imagine un tueur surnommé « le fantôme de Maigret ». Toute l’intrigue, aussi scrupuleuse dans la véracité des procédures policières qu’improbable quant au fond, se veut un clin d’oeil au monde de l’édition. À commencer par le flic nommé Duhamel.
Et puis au fil des pages, le lecteur glane certaines phrases propres à le sortir de la torpeur dans laquelle le mettent des lignes comme : « Territorialement compétents, les gendarmes de Milly-la-Forêt arrivèrent très rapidement. Mais c’est la brigade territoriale d’Etampes qui fut désignée par le parquet d’Evry pour enquêter, avant un éventuel dessaisissement au profit de la Brigade criminelle dans les jours à venir. »
Mais revenons aux surprises, et commençons par anticiper un argument. Les propos d’un roman ne reflètent pas forcément la pensée de l’auteur mais sont le reflet des idées des personnages. C’est tout à fait juste. Encore faut-il que le récit ne laisse pas place au doute. Au début de Sang d’encre au 36, quelques mots mettent la puce à l’oreille. Un policier et ses collègues discutent : « vu la faune locale, on n’est jamais à l’abri de cocktails Molotov », plus loin le lecteur est mis au courant de la situation sociale dépeinte par des habitants pour qui « les logement sociaux avaient poussé tout autour, comme des champignons, à la faveur de mairies acquises à la cause immigrée. » Laissons le bénéfice du doute quant aux pratiques « des voyous des cités, qui savaient à peine lire et écrire », peut-être est-ce le policier qui pense ainsi, et qu’il ne s’agit pas des propos du narrateur omniscient (celui qui vous raconte l’histoire).
Mais de l’image de « la famille Mukumbo » avec sa « mère de famille, qui semblait plus habituée à recevoir qu’à donner », et à qui le policier menace de couper les allocations, que faut-il penser ? Et quand « de la patience, il fallait en avoir avec les Africains », ou qu’un cadavre est décrit « dans une position que même les meilleurs gymnastes asiatiques n’auraient pu reproduire », peut-on vraiment passer à côté de l’importance des descriptions systématiquement ethniques ? Pourquoi ne pas s’en tenir à l’image des meilleurs gymnastes ? Pourquoi des gymnastes asiatiques ?
« cette femme cultivée, qui ne demandait qu’à s’épanouir dans les bras d’un homme »
Toutefois, qu’on se rassure, au registre des clichés, d’autres en prennent pour leur grade. Voici le compagnon du mort : « Fournier ne mit pas longtemps à le faire pleurer, ce qui était relativement facile avec les jeunes homosexuels lorsqu’ils perdaient leurs proches. » Oui monsieur, oui madame. Un catalogue, on vous dit. Les femmes y ont la place qu’on peut imaginer, la flic beurette est une rebelle touareg aux lèvres ourlées. Quant à la directrice littéraire elle porte des lunettes et un cardigan, mais heureusement elle « ne demandait qu’à s’épanouir dans les bras d’un homme » (de la poésie à la Michel Sardou).
Ces exemples ne sont pas destinés à tirer des conclusions sur l’auteur. Seul le texte compte. Il est au minimum d’une maladresse significative, et manque de toute l’humanité et la finesse d’un Simenon, qui est pourtant au coeur de ce roman.
Caroline de Benedetti
Hervé Jourdain, Sang d’encre au 36, Les Nouveaux Auteurs, 2009, réédition Pocket, 2011.