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Utopiales 2018, jour 5

Dernière ligne droite. À 13h au cinéma il y a séance de rattrapage avec la projection du film Prix des Utopiales, Assassination Nation, et les courts-métrage lauréats. La fatigue se fait sentir, nous manquons la séance. Direction Hypérion !

Troubles dans le genre

« La trop simple division sociétale, grammaticale et philosophique mâle-femelle ne rendant pas compte des identités humaines, comment les mettre en évidence ? »
Ce sujet a été abordé à travers plusieurs conférences qui font salle comble. L’intérêt du public est évident. N’hésitez pas à lire le compte-rendu sur « Genres et identités« , la conférence qui a eu lieu à Rennes dans le cadre du mois de l’imaginaire.

Jeanne A. Debats (autrice, déléguée artistique des Utopiales) livre sa façon d’aborder les choses : elle sait se définir elle-même mais s’abstient de définir l’autre : non à l’interventionnisme inquisiteur. Sabrina Calvo (autrice, dessinatrice et conceptrice de jeux vidéo) explique être dans une phase où elle lit beaucoup et essaie de comprendre, dans une démarche de rencontre, tournée vers l’autre plus que vers elle-même. Comme souvent, elle s’appuie sur des anecdotes personnelles touchantes et parlantes. Ici, Sabrina Calvo dit qu’elle n’a pas compris son genre avant de discuter avec quelqu’un chez qui elle a perçu les différentes possibilités. C’est l’histoire d’une rencontre éphémère mais de celles qui comptent, un ressenti sensible.
Une chose est sûre : le genre est invisibilisé, ou polarisé. Dans notre société, la fluidité n’existe pas. Pour Jeanne A. Debats, le contrat social se sent menacé dès lors qu’une personne montre qu’elle est autre chose, qu’elle ne veut pas se conformer à ce qu’on attend d’elle.

Baptiste Beaulieu (médecin, auteur) pointe deux cas pratiques à la symbolique forte : l’excision consiste à retirer à la femme la partie qui se rapproche le plus du pénis, quand la circoncision ôte la partie la plus flasque qui rappellerait le plus les grandes lèvres.
Le poids des religions monothéistes sur la construction de l’identité de genre est évoqué, puis vient le sujet de la spiritualité. « Je n’ai pas de problème avec la spiritualité, j’ai un problème avec les cons » précise Sabrina Calvo.
Longue chevelure et gros seins : oui c’est une caricature. Mais le genre doit être surjoué, chez les trans. Simplement parce que pour exister aux yeux des autres il faut être identifié : il est très difficile pour une personne trans de revendiquer des marqueurs de genre et d’être dans une démarche philosophique, quand en face il n’y a que du cognitif. Peut-on exister sans être vu ?
Attention par ailleurs, car même chez des associations trans, des règles relatives à la bonne façon d’être une femme sont fixées, là aussi des curseurs sont posés.
Jeanne A. Debats raconte qu’elle-même se rend compte que son cerveau prend le dessus, et associe toujours la personne à son ancien genre, et emploie le « il » au lieu du « elle » et inversement. Nous sommes prisonniers et prisonnières des images construites, même quand nous sommes sensibilisé-e-s et convaincu-e-s par ce sujet.
Un haut lieu de lutte des genres est bien sûr l’écriture. Et s’il est bien un terrain qui doit être capable de remettre en question l’écriture et la façon dont elle traite le genre, c’est celui de la SF.
La discussion s’achève sur un ton plus grave. Baptiste Beaulieu apporte des chiffres concrets et assez terribles : chez les personnes trans, lesbiennes ou homosexuelles, on constate 12 ans d’espérance de vie en moins. Beaucoup d’émotion se dégage quand il explique que le plus lourd, ce n’est pas forcément l’hostilité de mouvements comme la manif pour tous. Il évoque la fatigue du militant, et les morts. Quand est-ce qu’on réagit ? 40 à 45 % des personnes LGBT n’osent pas aller chez le médecin et sont sujettes à des problèmes cardio-vasculaires. Comment se faire dépister un cancer du sein quand on est trans et munie d’une carte d’identité d’homme ?
Dans le public quelqu’un livre une expérience personnelle, pour parler des personnes intersexuées et des mutilations qu’elles subissent. Le temps manque pour poursuivre la discussion qui captive tout le monde. Le mot de la fin ? Nous sommes tous éduqués pour avoir une conception de la normalité, c’est ce que nous devons déconstruire pour faire cesser ces violences faites à l’autre.

Auteur-e-s évoqué-e-s lors de cette discussion : Starhawk, Ursula K. Le Guin et John Varley.

Nous profitons des derniers moments à la Cité des Congrès, une belle édition s’achève. Il nous reste encore des choses à vous raconter tant les thèmes qui nous ont intéressé-e-s étaient nombreux. À suivre…

Caroline de Benedetti