Interview

Interview : Martin Mongin

La librairie Les Villes Invisibles à Clisson invitait Martin Mongin le 25 septembre dernier, pour son premier roman Francis Rissin. Un entretien mené par Fondu Au Noir. Vous n’y étiez pas ? Voici de quoi vous rattraper…

Interview : Martin Mongin

Martin Mongin, j’ai envie de vous appeler Francis mais on en reparlera… Commençons simplement, comment êtes-vous venu à l’écriture ?

Ça fait longtemps que j’écris, depuis très jeune. J’ai fait mes études à Rennes, et c’est sans doute là que les choses ont pris plus de consistance. Avec un groupe de copains de la fac de philo, on a monté une revue qui s’appelait Mécanique Urbaine. Ça a duré quatre où cinq ans, et ça été une sorte de laboratoire où j’ai pu expérimenter plein de genres, de registres d’écriture, toujours des formats courts, de la fiction, des nouvelles, des articles universitaires… Je me suis toujours amusé à brouiller les frontières entre les genres, et ce genre d’écriture universitaire je me suis amusé à le pervertir, à y injecter des éléments de fiction. Pour faire des choses plus contre nature, qui brouillent les pistes. Je suis un grand fan de Deleuze par exemple. Il y a une inventivité formelle qui vient casser les codes de l’écriture universitaire. Mes études m’ont mené jusqu’au master, et à
la fin je n’arrivais plus à rester dans ce carcan. Aussi parce que
pour décrire ce qu’on a envie, on a besoin d’inviter, de délirer. Les codes ont pour fonction de faire groupe. C’est difficile de les
casser, mais parfois ceux qui le font sont ceux qui restent.

Ce titre, Francis Rissin, reste vite en tête, il prend le dessus. Je ne sais pas quels retours vous avez des lecteurs à ce sujet. C’est aussi le coeur du roman, puisqu’on suit ce personnage mystérieux à travers toute l’histoire. Ce n’est pas vraiment un héros, son existence peut être remise en question. « Ce nom lui paraît familier », dit un personnage, et c’est exactement ce qui se met en place à la lecture. Il y a une réelle trouvaille avec ce nom, sa sonorité, son efficacité. Comment est-il venu, a-t-il été facile à trouver ? Est-ce que c’était dès le début le titre prévu pour le roman ?

Je me suis souvent amusé à écrire des faux essais, avec des fausses références qui n’en sont pas, à citer des articles et des ouvrages d’auteurs qui n’existent pas. Pour que ce soit crédible, il fallait trouver un nom à ces auteurs qui n’existent pas. Je me suis beaucoup amusé à prendre des prénoms, des noms de famille dans les pages de l’annuaire, à les agencer. C’est amusant d’inviter un nom. Pour « Francis Rissin », je m’étais donné un certain nombre de contraintes. Il fallait que le mot France apparaisse, et en terme de prénom si on voulait que ce soit un homme ça limitait. François… Il fallait que les initiales fassent FR, et que ça coule en terme de consonance. Avec Rissin, il y a à la fois cette plante vénéneuse, avec laquelle on produit du poison et du shampooing, et c’est aussi le nom commun des tiques. Bref… Ça a donné Francis Rissin, et bien sûr c’était chouette que ce soit le titre, comme il est beaucoup question de ce nom qui apparaît sur des affiches, placardées aux quatre coins de l’Hexagone. La couverture elle-même fonctionne comme une affiche.

Il y a 11 chapitres qui donnent tous une indication sur Francis Rissin, et on commence avec une universitaire qui anime un cours. Directement, vous faites références aux livres qui existent à ceux qui n’existent pas « qui n’ont jamais été écrits »… C’est un jeu littéraire, j’ai pensé à d’autres références comme La conspiration des ténèbres, ou La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, aux Falsificateurs de Bello.

Oui, La maison des feuilles est un livre culte pour moi.

Un des chapitres du roman est une caricature de roman policier, on est dans le jeu avec les codes.

Oui d’un chapitre à l’autre on change de genre narratif. Le premier chapitre est un cours déployé devant les étudiants, et puis on passe à un côté polar, à un côté fantastique, à des archives… J’aurais pu appuyer plus, mais je veux garder une unité. Ce sont des choix liés à mon expérience de lecteur. J’aime les romans de genre. J’ai lu beaucoup de science-fiction, de romans fantastiques.

Pierre Bordage est cité, d’ailleurs.

Je ne l’ai jamais lu ! Mea culpa…

Les lecteurs aiment souvent tout comprendre, notamment à la fin du roman. Ici ce n’est pas le cas. Comment avez-vous pensé ce risque ?

Plus jeune j’ai lu ces romans où toute la lumière est faite à la fin. En vieillissant, je me suis rendu compte que cette façon de présenter les choses ne rendait pas bien compte du réel, que ce n’est jamais comme ça. Le réel est fait de différentes versions. J’aime bien ce côté David Lynch, quand on sait qu’on n’aura pas toutes les réponses. Ca laisse un espace au lecteur, pour qu’il donne ses propres réponses, dans une tentative de voir comment la fiction peut rendre compte du réel, de façon parfois plus pertinente que d’autres compte-rendus.

« Le monde n’est pas un roman expérimental. Le monde n’est pas la somme de ce que vous avez laissé sur les réseaux sociaux pendant les dernières vingt quatre heures. La vie de Françis Rissin est un livre qui n’a jamais été écrit, un livre qui n’existe pas. » C’est un mensonge, même ?

Il y a tout et rien. Oui ça joue sur ça. Le mouvement secret du livre, c’est de donner progressivement consistance ou réalité à ce qui n’est qu’un nom. Francis Rissin commence à prendre chair, à agir. Dans un deuxième temps on le perd à nouveau…

Le chapitre 6 est un chapitre pivot, dans lequel on en apprend beaucoup plus, où on se prend une baffe (normalement…). Tout ça était bien calculé dans la construction du roman ?

C’est la structure que j’ai imaginée, comme une sorte de pyramide où les cinq premiers chapitres approcheraient ce nom, jusqu’au chapitre six, son journal intime où on est au plus près de lui. Les cinq chapitres suivants, c’est le mouvement inverse, il se délite.

Je trouve que ce roman fait écho à Protocole Gouvernante de Guillaume Lavenant, autre roman de la rentrée littéraire, qui est un roman qui parle du fait de perturber le réel et le quotidien. Il y a aussi cette idée dans l’écriture de Francis Rissin ?

Sans doute, parce que ce qui m’intéresse c’est l’espace de flou entre la fiction et le réel. C’est un livre qui parle aussi de ce que c’est de créer un livre, un personnage. Comment ce qui ne sont que des mots finissent par s’inviter dans le réel. C’est aussi le thème de la créature qui échappe à son créateur.

C’est un roman aussi très attaché au monde d’aujourd’hui. On pense à des évènements actuels. Vous aviez cette envie de l’ancrer dans notre monde ?

Oui, et que ce soit une manière d’essayer de saisir le présent, l’époque. Qu’est-ce qui est en train de se passer ?

Interview : Martin Mongin

Il faut aussi dire que c’est aussi un roman dans lequel on rit. Je pense à l’exposition à Beaubourg, avec ce personnage d’ancien publicitaire et ses idées farfelues qui font revenir l’ami Banania et Pierrot Gourmand…

C’est une scène de grand délire, j’aime ces moments où on ne s’y attend pas et ça part en vrille. Mais plus sérieusement, j’ai l’impression que c’est seulement maintenant que je comprends des choses sur le livre que j’ai écris. Ce Francis Rissin qui au départ a l’air d’être un potentiel sauveur du pays, dans lequel tout le monde met ses espoirs, peut-être on peut dire qu’il incarne une espèce d’inconscient collectif national. Il y a des assos qui font la psychanalyse des villes, il peut aussi y avoir un inconscient pour les pays. Je voulais m’amuser avec ça, regarder derrière le rideau, qui serait ce type, ce démon intérieur ? Le livre de Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, parlait un peu de ça, du choc. Il disait que c’était une effigie qui incarnait quelque chose de plus profond, présent depuis longtemps, le pétainisme transcendental. Il insistait sur le critère de la croyance en la figure de l’homme providentiel. C’est avec cette croyance que le livre joue. En prenant le lecteur au piège. C’est tellement confortable de se dire qu’il y a des sauveurs à qui nous pourrions livrer notre sort.

Vous ne fournissez aucune réponse ou solution.

Non l’idée c’est de jouer, c’est la dimension plus politique du livre. Les affiches font écho à la politique électorale, avec les noms des candidats en gros sur les affiches, le matraquage, les noms à la télé… Comment un candidat qui devient président, c’est à la base un type comme tout le monde. Même si on peut nuancer ça bien sûr. Mais on en fait des super-héros, de ces types qui montent sur l’estrade. Souvent, derrière c’est aussi du vent. Ce sont presque des produits de consommation. Un nom devient une marque, avec des slogans. La question se pose. Pour reprendre sur l’inconscient collectif, j’ai écrit le roman juste après l’élection de Sarkozy. J’y ai sans doute déversé des affects. Le Ministère de l’Identité Nationale… Ce personnage dont on a
l’impression qu’il est unique, on se rend compte que c’est plein de personnes différentes.

Quand on lit le roman, ces sujets ne sont pas au premier plan, on est pris dans une quête, une enquête, le sous texte n’est pas brandi.

Je ne sais si je me suis raconté les choses comme ça, mais je voulais déverser des affects et aussi m’amuser, inventer des histoires et embarquer le lecteur.

C’est aussi un voyage à travers la France et ses petites villes, avec les colleurs d’affiche. La nature y est très présente.

Paris est représentée mais c’est aussi un livre qui parle de la France, et ce n’est pas inintéressant de parler de tous ces villages. Je suis quelqu’un qui aime marcher, voyager, ce sont des lieux que je connais. J’ai un goût pour la géographie. Parce que c’est aussi une manière d’ancrer les choses. Dans cette tentative de brouillage, on décrit précisément les petits bleds et ça a l’air réel.

Est-ce que vous avez fait d’autres tentatives pour troubler le réel, en faisant d’autres faux que ce roman ?

C’est arrivé, mais je ne peux pas en parler… Je peux juste dire que j’ai collé des affiches à en-tête de la préfecture à Rennes, je ne peux rien dire de plus.

Et Martin Mongin c’est votre vrai nom ?

Oui, c’est la première fois que j’écris sous mon nom. Je me suis beaucoup amusé avec les noms d’emprunts, mais là quelque part ça avait un sens d’assumer. Et du coup… on m’appelle Francis.