Interview

Interview Frédéric L’Homme

Interview Frédéric L'Homme

Frédéric L’Homme est l’auteur de l’excellent premier roman Les Boiteux paru au Rouergue Noir. Il s’inscrit dans les traces du film noir et de Manchette, et fait surtout preuve d’une grande inventivité. Nous l’avons interviewé pour le nouveau numéro de L’Indic, voici un extrait pour vous donner envie.

Vos protagonistes sont les services de police et leur rivalité. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette institution ? Pourquoi eux ?

Je ne cherche à faire passer aucun message, je n’ai pas de discours sur les institutions policières de notre pays. Deux choses m’ont pourtant poussé à écrire sur le sujet. Une curiosité naturelle, d’abord, qui est née de la vague d’attentats de 2015. À ce moment-là, on a décidé d’accroître les pouvoirs de la police en réduisant corollairement ceux des juges, avec la déclaration de l’état d’urgence. Dans le même temps, des voix se sont élevées pour déplorer le démantèlement des Renseignements généraux. On a aussi évoqué les conflits d’intérêts entre la PJ, la gendarmerie et d’autres administrations, qui n’arrivaient pas, ou ne voulaient pas partager leurs informations… L’actualité de 2015 est venue nous rappeler que l’organisation et les attributions des services de police de notre pays sont par nature mouvantes et que, si ces organes sont les garants de la continuité de l’État, ils sont aussi de puissants outils à la solde d’intérêts particuliers. En me documentant, j’ai découvert que la généalogie de nos institutions policières est plus complexe qu’on imagine : ce qui nous semble aujourd’hui aller de soi – une action policière contrôlée par le système judiciaire – n’a pas toujours constitué un modèle évident. La tentation a été grande, dans les périodes de crise, de se doter d’une police politique « républicaine », une administration affranchie du contrôle des juges, sous le prétexte de défendre plus efficacement la République contre ses adversaires les plus déterminés. Partant de ce constat, je me suis dit qu’il y avait matière à imaginer un univers alternatif crédible, comme cadre d’une fiction, qui pourrait s’affranchir de contraintes historiques trop lourdes tout en satisfaisant mon goût pour le réalisme : je suis en quelque sorte obsédé par le réalisme, mais je sais à quel point il peut paralyser une action. En créant ma propre force de Police, dans ce passé modifié, mes personnages n’étaient pas tenus de respecter à la lettre les procédures de la PJ, par exemple. Je pouvais imaginer ce que je voulais, dès lors que les choses demeuraient fidèles à l’esprit de nos institutions, sans figer l’action.

Il y a une forme de paradoxe, à vouloir le réalisme et s’en dégager.

Il y a toujours un conflit entre ce qui est vrai et ce qui est intéressant à raconter. Mais c’est un roman, pas un documentaire. Le réalisme des Boiteux passe donc davantage par une forme de cohérence interne, tout en respectant les formes et les façons de faire de l’administration et des institutions françaises. La guerre des polices, par exemple, est une vieille tradition nationale. Ce qui importe, finalement, c’est moins le réalisme que le sentiment du réalisme.

Je ne suis pas pointu dans le domaine du polar, mais j’ai l’impression que le réalisme est en train de prendre ses quartiers dans le genre. On voit d’anciens flics, Olivier Marchal pour le cinéma, Olivier Norek dans les romans, qui sont de la maison et qui ont une forme de légitimité pour parler. Mais les autres auteurs ? En optant pour une réalité alternative, je ne suis pas concerné par ce débat. Je privilégie la fiction, l’aspect romanesque tout en satisfaisant mon goût des détails justes, qui sonnent « vrais » dans l’esprit du lecteur et rendent le roman – aussi bien que les personnages – crédibles.

A suivre…