Il y a des romans qui vous attrapent et ça ne vient pas tant de ce qui se passe que de la façon dont c’est raconté. Il y a cette femme marquée par le deuil, sa douleur, sa distance au monde, son mari promoteur immobilier et ses deux petites belles-filles.
Le récit semble porté par un narrateur omniscient alors qu’il n’en est rien : la maman de Laure en est la voix toute particulière. Elle parle de sa fille, décrivant des scènes auxquelles elle n’a pas assisté et donnant un ton particulier au texte. L’habile explication se trouve quelque part dans le fil de ce roman dont il vaut mieux connaître le moins de choses.
Depuis l’auberge du Bonheur dans les Cévènnes, Laure pleure toute la neige qui ne tombe pas du ciel. Ce lieu hors du temps, avec son aubergiste replète et son lézard, donne une ambiance étrange qui accompagne parfaitement ces humains arrivés au bout. Laure pleure son grand-père Antoine, autrefois Antonio Casares, petit espagnol de 15 ans plongé dans la guerre d’Espagne. Quelle relation avaient ces deux-là ? Sur quoi reposait leur complicité ? À travers ses pensées Laure donne à lire une histoire de famille et les failles ouvertes par toutes sortes de petits et grands drames. Anne Bourrel montre les liens entre passé et présent ; elle fait s’interroger sur la vision héréditaire des choses. Elle décrit les sentiments, les mensonges, la distance et la spontanéité. Elle pense à tous les détails de son récit jusqu’au drame final, le seul qui peut s’avérer difficile à appréhender, du fait même de l’inconnue de cette histoire : la mère.
L’invention de la neige est à ranger à côté de son cousin Quelqu’un à tuer d’Olivier Martinelli, chez le même éditeur.
Anne Bourrel, L’invention de la neige, La Manufacture de Livres, 2016, 18,90 €, 317 pages.