Certains livres font se bousculer les pensées. Ce qu’il nous faut c’est un mort ne tient pas du roman grandiose. Il a la force de la simplicité et de la justesse.
Hervé Commère s’inspire des grèves menées par les ouvrières des usines Lejaby. En 2010, alors qu’elles luttaient sur différents sites en France, les lecteurs français faisaient du livre de Stéphane Hessel Indignez-vous ! un succès de librairie. Cinq ans plus tard, Rémi Fraisse était tué à Sivens par une grenade de la gendarmerie. Face à l’injustice et l’isolement ressentis par les ouvrières du roman comme par tant d’autres, ce qu’il nous faut c’est un mort, dit-on parfois à la légère, un mort pour mettre en lumière les luttes. Mais un mort ne change pas le monde, nous avons pu constater l’apathie face à celle d’un militant de 21 ans. Ce qu’il nous faut c’est un mort, parfois, pour sortir de la torpeur, individuellement, parce que rester sous la contrainte n’est plus acceptable. Qu’importe si sortir du rang ne change pas tout, se contenter de faire au mieux n’est plus supportable. Ainsi l’auteur touche à un sujet intemporel : lutter et choisir sa vie.
Ce 5e roman, c’est l’histoire de Vrainville et de ses habitants. Les ouvrières menacées de licenciement vont vous remettre les idées en place, à l’heure où un DRH qui se fait arracher sa chemise scandalise les foules médiatiques, à l’heure où trop peu s’opposent à ce qu’une énième loi fassent régresser le droit du travail. L’écho est immense.
L’auteur donne de la chair à ses personnages en étirant les causes et conséquences sur 20 ans. La narration gagne ainsi en force : le patron de l’usine là-haut dans son bureau, vous l’avez vu quelques pages plus tôt à 18 ans sortant d’une discothèque. Avec lui, les gens du cru comme les gens d’ailleurs, tous se retrouvent à vivre une de ces périodes où des choses fortes arrivent, parce que parmi eux, une femme ou un homme va sortir de sa réserve, oser un geste inimaginable. Les drames personnels se mêlent au sort de l’usine qui fait vivre une ville. Avec eux se pose la question du poids de l’environnement et des origines sociales, de l’attachement aux origines, de la condition d’ouvrier et celle de patron. Rien n’est asséné ou évident, ni manichéen. Chacun veut bien faire et a de bonnes raisons. Tout juste regrettera-t-on le personnage du violeur, salaud très salaud. Certains mégoteront pour savoir si ce roman est un polar ou pas et on a illico envie de les envoyer s’enfermer dans une bibliothèque, à la BILIPO par exemple. Alors ce roman pour le ranger à côté du Battues d’Antonin Varenne ; et pas loin là-bas un autre leur fera de l’oeil, Les salauds devront payer d’Emmanuel Grand. Le polar français nous fait du bien.
Caroline de Benedetti
Ce qu’il nous faut c’est un mort, Hervé Commère, Fleuve Noir, 2016, 19,90 €, 400 p.
Quid à propos de l’écriture, des qualités littéraires ?
Merci d’avance.