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Utopiales – Réfugiés climatiques

Utopiales - Réfugiés climatiques
Les fils de l’homme – Alfonso Cuaron

La 18e édition des Utopiales s’est achevée il y a une semaine. Pour ceux que la foule enthousiaste ou l’heure matinale a effrayés, nous vous proposons une session de rattrapage avec la table ronde « Les réfugiés climatiques », qui réunissait Jean-Laurent Del Socorro (Boudicca), Sara Doke (Techno faérie), Philippe-Aubert Côté (Le jeu du démiurge) et Pierre Bordage (Hier je vous donnerai de mes nouvelles). Vous pouvez aussi l’écouter sur le site ActuSF.

Le thème résonne évidemment avec le contexte actuel marqué par les récents ouragans ayant touché les Antilles et les côtes américaines. La discussion s’amorce au travers d’un fait : l’ONU prévoit un déplacement d’environ 250 millions de personnes d’ici 2050 : une migration massive qui va entraîner des conflits culturels et une véritable guerre des ressources pour la simple raison que nous ne sommes pas prêts à accueillir. En effet, il n’existe pas à ce jour de statut de réfugié climatique, mais c’est surtout face aux réactions politiques que se traduit cette incapacité : nous attendons la crise.

En 2017, on compte déjà 28 millions de réfugiés climatiques. Par définition, un réfugié ne peut plus habiter chez lui ponctuellement ou définitivement. Les déplacements de population les plus importants se font à l’intérieur d’un même pays, que ce soit pour une raison climatique ou politique. Or, nous voyons aujourd’hui que nous avons déjà du mal à accueillir les réfugiés politiques fuyant les zones de guerre, qu’en sera-t-il donc quand il s’agira d’accueillir les réfugiés climatiques ? Ferons-nous preuve du même manque de compassion ?

En effet, les problèmes soulevés ne sont pas matériels mais bien politiques : nous ne nous demandons pas s’il est possible de construire des villes sur l’eau mais s’il est possible d’accueillir et donc de partager. Il y a toujours eu des migrations massives et celles-ci ont toujours entraîné une guerre pour les ressources et toute la question est là : en sommes-nous capables ? Et sommes-nous sûrs de ne pas devenir nous-mêmes des réfugiés climatiques ? L’Europe n’est pas à l’abri de catastrophes climatiques : la tempête Xynthia en est un exemple.

Face aux gouvernements inactifs et incapables de se mettre d’accord pour prévoir une politique écologique, les auteurs de science-fiction semblent être les seuls à anticiper et agissent ainsi comme des lanceurs d’alerte : ils mettent en garde et préviennent le public à travers leurs récits sur l’avenir qui nous attend, que ce soit la montée des eaux, la disparition des énergies fossiles etc. Or, les décideurs qui n’écoutent déjà pas les experts qui sont là pour les conseiller, lisent encore moins de la science-fiction.

Que ce soit à travers la science-fiction ou les faits scientifiques, nous savons mais ne prévoyons pas, pourquoi ? Nous n’avons pas de prévision globale car en ce moment les pays se replient sur eux-mêmes géopolitiquement à travers la montée de l’extrême droite, le nationalisme, l’élévation de frontières et les revendications indépendantistes. Finalement, nous oublions le concept de l’humain et nous nous rabattons sur nous-mêmes. Un politique qui se présenterait avec pour programme d’accueillir des réfugiés et de partager les ressources n’aurait aucune chance d’être élu parce que le partage a un coût et nous ne sommes pas prêts à faire cet effort, alors qu’on se grandirait en sacrifiant un peu de notre confort. Une réaction appropriée serait d’investir dans la recherche et de rendre la société plus raisonnable au niveau des ressources.

Se pose alors la question du transhumanisme : est-ce que le développement de technologies visant à adapter l’être humain à son milieu est une solution ? Les invités sont tous d’accord pour répondre que ce n’est pas utile à court terme. En effet, transformer l’être humain implique des technologies que nous ne possédons pas encore mais se pose surtout le problème de l’acceptabilité sociale. Sur le même plan technologique, l’idée de construire de nouvelles villes et de réaménager le territoire est énorme mais possible. Néanmoins, avant d’envisager cette voie, il faut mener une réflexion au niveau politique, social et dépasser ces notions d’États-nations afin d’aboutir à une coopération technologique mondiale. C’est seulement à ce prix qu’on pourra enclencher des transformations telles que des villes flottantes ou des stations spatiales car 2050, c’est demain. Cette démarche de coopération avait été initiée par l’Europe notamment mais aujourd’hui on assiste à un véritable retour en arrière : la difficulté à penser en terme d’humanité globale.

Dans le monde, ce qui se passe en ce moment d’un point de vue politique est l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Reste la possibilité que nous les humains en prenions conscience et portions au pouvoir des gens qui expriment quelque chose de différent. Or, face à ce problème nous cherchons d’abord une solution technique ou technologique à un problème sociétal : un réflexe de peur nous pousse à rejeter pour ne pas avoir à partager.

Les invités s’expriment sur la fin qu’ils envisagent à ce problème. Les conflits violents pour les ressources et les territoires semblent inévitables. Même s’il subsiste une croyance dans l’empathie humaine et la volonté citoyenne de fraterniser, celle-ci est mise à mal par la réaction actuelle des politiques et les récentes décisions juridiques visant à punir ceux qui aident les réfugiés.

Justine Vaillant

Conseils de lecture des invités :

Christopher Priest, Notre île sombre
Jean-Marc Ligny, Aaqua (TM) et Exodes
Ayerdhal, Demain une oasis
Andreas Eschbach, La trilogie de la cohérence : Black out, Hide out et Time out
Stephen Baxter, Déluge et Arche
Pierre Bordage, Le feu de Dieu, Les fables de l’humpur etWang
Toute l’oeuvre de Paolo Bacigalupi